Je reçois M. Martin, la cinquantaine, allocataire du RSA. Il est ce que certains appellent irascible. Moi, sa colère me rassure. Cela veut dire qu’il n’est pas encore résigné de survivre avec si peu alors qu’il ne demande qu’un emploi. Je veux dire par là, un vrai emploi, avec des cotisations chômage et retraite. Un emploi qui permet une vraie reconnaissance.
M. Martin s’énerve : « Non mais, des heures de travail obligatoires ? C’est ceux qui roupillent à l’Assemblée nationale qui estiment qu’on est payé à rien faire ? Moi, ça fait un an qu’on me propose des stages non rémunérés. “C’est pour étoffer vot’CV”, qu’on me dit ! Pff ! C’est pour offrir de la main-d’œuvre gratos ! 500 € par mois, vous croyez que je le trouve où le fric pour payer le carburant ? Et qui va payer les réparations de mon diesel ? C’est pas de bol, l’autre jour, je me suis fait chopper par les keufs pour défaut d’assurance. Suspension de permis. C’était soit crever de froid, soit aller à ce stage gratuit ! J’ai payé ma régul’ EDF. J’en ai ras le bol ! Vous savez quoi ? Prenez n’importe quel politique, celui qui se plaint de ces pauvres qui coûtent “un pognon de dingue”. Vous le faites naître dans ma famille, avec ma mère qui picole et mon père qui la bat. Et puis vous le brisez bien de partout jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’ego. Et après, devenu adulte, vous en rajoutez une bonne couche en lui répétant que s’il est pauvre, bah, c’est de sa faute. Il n’a qu’à aller travailler ! Vous savez quoi ? La Constitution de 1946 affirme “le droit d’obtenir un emploi”. Elle dit même que la collectivité nous doit “les moyens convenables d’existence”, en cas d’incapacité… C’est plus facile d’accuser les pauvres que de se remettre en question. Choisir ce que je vais faire de mes 5 € par jour de reste à vivre, manger ou payer l’essence pour aller faire ces put*** d’heures obligatoires, ça me prend toute mon énergie. Maintenant, il faudra aussi que je me dise que si je refuse, je n’aurais rien. Je vous dis pas tous les sans-abri qui vont pulluler dans les rues ! On revient à avant le RMI, où on se foutait pas mal que les sans-abri soient sans rien ! » M. Martin claque la porte de mon bureau.
Dire que je suis assistante sociale pour lutter contre les injustices… Je repense à la désaffection pour les métiers du social et je me dis que l’attractivité passe aussi par des lois cohérentes et respectueuses de l’autre. C’est quand la dernière fois que le législateur a pris en compte les réalités de terrain, les professionnels et les personnes accompagnées elles-mêmes ? Vous savez, la participation citoyenne, la co-construction ?… Cruel mirage qui vous mène droit vers l’humiliation.