On ne veut pas forcément vieillir à domicile, on ne veut pas finir ses jours en Ehpad. C’est différent. Cependant, il n’est pas incompatible de vouloir rester chez soi et d’améliorer la situation des établissements. Il y a même une certaine convergence : l’institution vient en relais du domicile même si, en France, nous opposons trop souvent ces deux modèles. On ne pense jamais l’Ehpad de manière préventive. On y va contraint et forcé. C’est cette entrée en structure qu’il faut reconsidérer. Si ces établissements existent c’est bien qu’ils répondent à une demande.
Il existe toutes sortes de situations, mais à chaque fois, l’arrivée en institution est mal préparée. La raison la plus courante est la rupture biographique, le veuvage. La survenue d’une maladie ou une chute accélèrent aussi ce processus. Un certain nombre de personnes âgées concèdent l’entrée en établissement pour rassurer leurs enfants. Cette concession n’est pas sans risque : elle favorise le syndrome de glissement. Beaucoup de résidents se laissent aller, ne luttent plus contre la maladie une fois en établissement. C’est dans les premiers mois après cette institutionnalisation que l’on constate le plus de décès.
Rester à domicile le plus longtemps possible implique au moins deux choses : la santé sous toutes ses formes (mentale, physique…) et l’argent, afin de continuer à établir ses choix et d’être en mesure de les faire valoir. Notamment sur la question immobilière, à savoir le lieu où l’on souhaite résider avec, quand c’est nécessaire, les services adéquats. Certes, les Français veulent vieillir chez eux mais à condition d’être en sécurité et d’avoir les aides appropriées. Tout le problème est là. L’APA (allocation personnalisée d’autonomie) par exemple, qui est censée favoriser le maintien à domicile ne va jamais dans le portefeuille des bénéficiaires. Elle est versée directement aux professionnels. Les personnes âgées n’ont donc pas la main. On leur impose le personnel, les horaires, les cadences et les prestations dont elles bénéficient.
L’avancée en âge est phénoménologique, sa trajectoire n’est pas linéaire. Que l’on soit homme ou femme, fortuné ou non, rural ou urbain, il n’est pas le même. Cela implique donc de changer la société dans son ensemble et pas seulement de faire venir une auxiliaire de vie ou une infirmière à la maison. Bien vieillir à domicile nécessite d’adapter son logement, son immeuble, son quartier… Cela exige une meilleure attention vis-à-vis des personnes âgées. Celles qui ont aujourd’hui plus de 85 ans revendiquent clairement leur autonomie. Elles n’ont pas attendu leurs enfants, baby-boomers, pour mettre en avant ce thème. Nous devons être plus à l’écoute de leurs besoins.
Je ne crois pas à un grand bouleversement dans les trente à cinquante années à venir. Les plus grands changements ne seront pas technologiques mais sociétaux avec la multiplication des familles plus petites, recomposées, des couples mixtes, etc. Tout cela aura des conséquences sur le vieillissement. A vrai dire, nous sommes la première génération à faire l’expérience de la longévité. Ce sont ceux nés avant-guerre qui montrent l’exemple. Pour ne pas rater cette évolution en cours, nous devons améliorer la situation des aidants et des services à la personne à travers la formation, la reconnaissance professionnelle, l’avènement d’une culture gérontologique mais aussi une plus grande considération de la personne âgée. Le problème de la vieillesse, puisqu’il en existe un, est lié à un déséquilibre entre la part des plus vieux et celle des plus jeunes. Il oblige les sociétés à plus d’inventivité, de créativité, d’originalité, notamment dans leurs rapports humains avec les personnes âgées et la place qu’elles occupent dans nos sociétés.