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SOS d’un secteur en détresse

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Une part grandissante de Français déclarant vouloir vieillir chez eux, les pouvoirs publics encouragent le « virage domiciliaire ». Mais, pour les professionnels de l’aide à domicile, en majorité des femmes, les décisions prises pour (re)valoriser le secteur ne répondent pas aux difficultés rencontrées sur le terrain et ne sont pas à la hauteur des enjeux d’un pays en pleine transition démographique.

À Caen, dans le Calvados, une dizaine de salariées de Domidom, filiale d’Orpea, sont en grève illimitée depuis le 18 octobre. Dans le Nord, fin octobre, 45 associations d’aide à domicile ont demandé la création d’un fonds d’urgence de 50 millions d’euros pour répondre à la dégradation économique des structures. En Ardèche, début novembre, deux grandes associations du secteur ont fait savoir qu’elles étaient au bord de la faillite. Le secteur de l’aide et du soin à domicile est en crise. Aux quatre coins du territoire, les mêmes revendications : une hausse des rémunérations et de meilleures conditions de travail. « Ce n’est plus une crise, c’est une catastrophe ! », déplore Louisa Hareb, auxiliaire de vie en milieu associatif dans la Loire et membre du collectif Les Essentiel.le.s des métiers du lien et du soin. La situation est d’autant plus inquiétante que la France vieillit. La part des personnes âgées de plus de 75 ans va doubler entre 2020 et 2050, passant de 6,3 à 12 millions, soit 16 % de la population. Mécaniquement, les besoins en accompagnement à domicile vont augmenter. Les données sont connues, les constats dressés et les rapports alarmistes se sont multipliés… A priori, les pouvoirs publics ont donc matière à réussir le « virage domiciliaire », souhaité par une grande majorité des Français. Pourtant, la grogne sur le terrain enfle. « Nous ne sommes pas dans l’immobilisme. Jamais autant d’efforts n’ont été fournis pour le domicile que ces dernières années. Malheureusement, nous partions avec tellement de retard que nous sommes encore très loin du compte », assure Dafna Mouchenik, directrice de LogiVitae, un service d’auxiliaires de vie et de maintien à domicile à Paris.

Un avenant 43 bancal

Parmi les principales mesures prises sous le précédent quinquennat : l’avenant 43. Applicable depuis le 1er octobre 2021, il devait permettre « une augmentation salariale historique » à hauteur de 13 à 15 % pour les 209 000 personnels des services d’aide et d’accompagnement à domicile (Saad) et des services de soins infirmiers à domicile (Ssiad). Une évolution nécessaire car, auparavant, il fallait dix-huit ans pour qu’un salarié du secteur voie sa rémunération dépasser le niveau du Smic. « Sur le papier, l’avenant 43 est extrêmement positif. Il permettait de “rattraper” vingt ans de retard sur les salaires. Mais la réalité est bien différente. Il engendre de nouvelles difficultés », déplore Thierry d’Aboville, secrétaire général de l’union nationale de l’aide à domicile en milieu rural (UNADMR).

Premier souci : son financement. Alors que ces hausses de salaires devaient être compensées à parts égales par l’Etat et les départements, plus d’un an après sa mise en œuvre, certaines structures n’ont toujours pas reçu le moindre centime. De quoi mettre en péril leur équilibre budgétaire. « C’est très inquiétant. A ce rythme, si la situation n’évolue pas, je crains que des services ne mettent la clef sous la porte », s’irrite Dafna Mouchenik. Par ailleurs, les salaires de bon nombre de professionnelles – les salariés sont à 95 % des femmes – n’ont jamais été revalorisés. « Sur ma fiche de paie, rien n’a changé », certifie Sandra Vaissière, aide à domicile à Toulouse et ses environs. « Pour être éligible à cet avenant, il y avait un certain nombre de critères à respecter (ancienneté, grades, diplômes…). Par conséquent, très peu d’entre-nous ont bénéficié de cette majoration », poursuit celle qui est aussi membre du collectif national La Force invisible des aides à domicile. « C’est de la poudre aux yeux, un enfumage total, s’emporte Juliette Coanet, auxiliaire de vie en Loire-Atlantique. Je viens de changer de structure mais dans mon ancien Saad, je n’avais été augmentée que de 2,5 %. Il y a les discours étatiques et la pratique. » A noter que dans le cadre du PLFSS 2023, un amendement du gouvernement réévaluant à 261 millions d’euros l’aide financière de la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) aux départements a été adopté le 12 novembre. Celle-ci est destinée entre autres, à cofinancer les revalorisations salariales des Saad et notamment l’avenant 43. Une décision saluée par les acteurs du secteur.

Autre mesure phare du premier quinquennat, la mise en place d’un tarif plancher de 22 € l’heure d’intervention (son montant a été révisé à 23 € dans le PLFSS 2023, ndlr). Une somme à laquelle s’ajoute un supplément de 3 € de l’heure, versé aux services d’aide à domicile intervenant le soir et/ou le week-end. « L’idée de base est bonne, reconnaît Marie-Reine Tillon, présidente de l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA). Mais, alors que les inégalités territoriales sont censées disparaître avec la mise en place de ce tarif plancher, concrètement, la situation a empiré. La raison ? Le montant n’est pas assez élevé. Il ne correspond pas au coût de revient d’une heure d’intervention. » Un avis partagé par l’ensemble des acteurs du secteur, pour qui celui-ci doit se situer, a minima, entre 30 et 32 € de l’heure. « Sur ce coût insuffisant se greffe le non-versement de la dotation qualité dans bon nombre de services, fulmine Dafna Mouchenik, qui a récemment co-fondé le collectif des professionnels de l’aide et du soin à domicile. A Paris par exemple, sur les 200 structures, seulement 30 à 40 vont être concernées. »

Si l’Etat a fait d’autres annonces ces derniers mois (voir encadrés), un problème demeure : le secteur ne parvient plus à recruter. Selon les estimations, un poste sur cinq n’est actuellement pas pourvu et 140 000 ETP (équivalents temps plein) sont à pourvoir d’ici à 2030. « Il y a une crise des vocations. Dans mon département, il me manque une quarantaine de professionnelles. Cette pénurie a de lourdes conséquences. Nous sommes obligés de refuser de nouvelles prestations, de dégrader un certain nombre d’interventions. Nous priorisons ce qui est vital », résume Sébastien Dary, directeur général de l’ADMR de l’Aube. A l’échelle nationale, nombreux sont les services obligés d’annuler des portages de repas ou des ménages, d’effectuer les toilettes du matin à l’heure du déjeuner ou qui ne peuvent plus accorder le moindre temps au lien social, pourtant si important.

« Il y a peu, j’étais censée intervenir une heure chez un bénéficiaire particulièrement désorienté. En raison de l’absence d’une de mes collègues, je ne suis finalement restée que trente-cinq minutes. Dans ce laps de temps, j’ai dû le faire dîner, lui faire sa toilette, l’habiller pour la nuit, l’installer dans son lit, mettre une machine à tourner, faire la vaisselle, nettoyer ses WC… », illustre Juliette Coanet. Une situation « intenable » de plus en plus fréquente (voir reportage page 10), selon cette auxiliaire de vie également membre du collectif Les Essentiel.le.s des métiers du lien et du soin.

Un véritable cercle vicieux.

A chaque fois, le même engrenage : des plannings surchargés, des professionnelles qui s’épuisent, des accidents du travail qui se multiplient et des arrêts maladie en pagaille « Nous entendons parler de “valeur travail”, de “sens” mais dans notre secteur, tous les jours des salariées démissionnent alors même qu’elles aiment leur métier, se désole Louisa Hareb. Elles le font car elles veulent vivre plus dignement. Elles se tournent alors vers des professions moins mal rémunérées, avec des horaires fixes. Ce qui leur permet d’avoir, au moins, une vie sociale et familiale. » Et Sandra Vaissière de taper du poing : « Le gouvernement ne veut pas entendre la vérité du terrain. Il cherche des solutions qui ne conviennent pas. L’immédiat, c’est une hausse des salaires. Tant qu’on ne reconnaîtra pas la pénibilité de la profession par des revalorisations qui permettent de payer à sa juste valeur le travail fourni, nous n’avancerons pas. On aura beau mettre plein de choses en place, sans cela rien ne changera, ni pour les salariées, ni pour les usagers. »

L’inflation aggrave la situation

Alors que l’avenant 43 avait pour objectif de rattraper des années d’immobilisme, le Smic a, entretemps, été réhaussé à plusieurs reprises en raison de l’inflation. Et les autres conventions collectives ont été revalorisées par le biais du Ségur de la santé. L’écart s’est donc creusé. D’autant que la hausse des prix du carburant affecte aussi directement le portefeuille des salariées. Surtout en zone rurale où les aides à domicile peuvent effectuer plusieurs centaines de kilomètres par jour. Et ce, parfois, sans aucune prise en charge. « Toutes les structures ne remboursent pas les frais kilométriques, pointe Sandra Vaissière. Et quand c’est le cas, ces indemnités sont insuffisantes et cela n’empêche pas de devoir avancer les frais. Déjà que je ne suis payée que le temps passé chez l’usager… Alors souvent, à la fin du mois, ce n’est plus possible. » Par conséquent, elle l’assure : « Au prix actuel du carburant, certaines travaillent à perte. »

Autre sujet d’importance : l’adaptation des logements au vieillissement. A ce titre, la « prime Adapt’ », doit entrer en vigueur le 1er janvier 2024. Selon l’Agence nationale de l’habitat (Anah), deux millions de logements ont besoin d’être adaptés en raison de l’avancée en âge de leurs occupants. « Il ne faut pas oublier que le domicile est le lieu de travail des professionnelles. Elles doivent pouvoir accompagner les bénéficiaires en toute sécurité, sans se blesser, s’abîmer le dos, estime Marie-Reine Tillon. Cela passe par exemple par l’installation d’un lit médicalisé, de barres d’appui ou d’une salle de bains repensée. Mais ce sont aussi des choses toutes simples comme l’achat d’un balai-serpillère pour qu’elles n’aient plus à se baisser pour faire le ménage. »

Aussi, les acteurs du secteur vont-ils suivre de près les travaux de la « Fabrique du bien vieillir ». Lancée le 11 octobre dans le cadre du Conseil national de la refondation, elle doit déboucher sur « des propositions opérationnelles » dans plusieurs dossiers : le soutien au secteur médico-social, la lutte contre les maltraitances et l’accélération du « virage domiciliaire ». « Si rien n’est fait pour rendre attractif le secteur, nous allons droit dans le mur. Demain plus personne n’exercera », alerte encore Louisa Hareb. Il y a urgence. Selon une étude de la Dares, l’outil statistique du ministère du Travail, la moitié des aides à domicile a plus de 50 ans et 13 % plus de 60 ans. Autant de professionnelles qui vont bientôt partir à la retraite et qu’il faudra remplacer. Un défi supplémentaire pour le secteur.

Des futurs « services autonomie »

L’article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit la création de nouveaux « services autonomie à domicile » regroupant les Saad, Ssiad et Spasad (services polyvalents d’aide et de soins à domicile) actuels (voir dossier juridique du n° 3281). Le cahier des charges doit être publié par décret au plus tard le 30 juin 2023 et la mise en œuvre, effective à l’horizon 2025. Une réforme plutôt bien accueillie par les professionnels. « Cela fait des années que nous travaillons ainsi. Par exemple, lors d’une sortie d’hospitalisation complexe, nos Saad font appel à des infirmières coordinatrices. Cette réforme va donc dans le bon sens », estime Sébastien Dary, de l’ADMR de l’Aube. « C’est une bonne idée de mieux vouloir coordonner l’aide et le soin », appuie Thierry d’Aboville, de l’UNADMR qui appelle toutefois à la vigilance : « Si on nous oblige à fusionner tous nos Saad et Ssiad, nous allons perdre l’une des valeurs fondamentales du réseau, à savoir la proximité. Nous allons donc surveiller de près le futur cahier des charges. »

Des décisions hors-sol

« Deux heures supplémentaires par semaine dédiées à l’accompagnement et au lien social ». C’est ce que prévoitle PLFSS 2023, dès le 1er janvier 2024, pour les bénéficiaires de l’APA (allocation personnalisée d’autonomie). Une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron qui doit permettre de lutter contre l’isolement des personnes âgées. Quelque 780 000 personnes pourraient ainsi être concernées, selon les chiffres du ministère des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées. Alors que le secteur peine à embaucher de nouvelles recrues, le collectif Les Essentiel.le.s des métiers du lien et du soin s’interroge sur ces « visites de convivialité » : « Ça part d’un bon sentiment mais ça va être extrêmement compliqué. Il n’est déjà pas possible de mettre en pratique tous les plans d’aide, alors comment assumer ce temps supplémentaire ? C’est aussi totalement méconnaître notre travail. La convivialité est déjà au cœur de nos prestations. »

Bientôt, des centres de ressources territoriaux

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 consacre un nouveau dispositif : le centre de ressources territorial (CRT). Objectif : permettre aux personnes âgées de vieillir chez elles le plus longtemps possible, grâce à un accompagnement renforcé, lorsque la prise en charge classique ne suffit plus. La mission comporte deux modalités d’intervention. La première vise à assurer un appui aux professionnels par le biais de la formation, d’un soutien administratif et logistique, de la mise à disposition de compétences, de ressources, d’équipements spécialisés ou de locaux adaptés. La seconde relève d’une prise en charge plus intensive, en alternative à l’Ehpad. Cette année, 20 millions d’euros ont été débloqués et 40 millions d’euros supplémentaires sont prévus dans le PLFSS 2023. Ehpad et services d’aide et de soins à domicile doivent désormais se positionner auprès de leur Agence régionale de santé (ARS) dans le cadre d’appels à candidature. « Tout ce qui renforce l’accompagnement à domicile est extrêmement pertinent, confie Sébastien Dary, directeur général de l’ADMR de l’Aube qui nuance cependant : « Le cahier des charges est clairement en faveur des Ehpad, car ce sont les établissements qui bénéficieront du financement et en reverseront une partie aux Saad. Il va falloir trouver un juste équilibre. » Dominique Villa, directeur général du service à domicile Aid’Aisne, lui, ne postulera pas. « Si ce dispositif doit permettre l’accompagnement d’un public qui, logiquement, ne devrait plus être à domicile, il est ambigu, estime–t-il. Sa création suppose que les services à domicile ne savent pas prendre en charge les personnes les plus dépendantes. Or bien souvent nous accompagnons les bénéficiaires jusqu’à la fin de leur vie. Je crains que les CRT ne soient qu’une couche de plus aux dispositifs existants. » Quatre CRT par département devraient être créés d’ici 2027. Une dotation annuelle de 400 000 euros sera versée aux structures retenues par les ARS. L’enveloppe doit principalement servir à la mise en place d’équipes pluridisciplinaires, composées d’un coordinateur et de professionnels tels que des diététiciens, des psychologues ou des ergothérapeutes.

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