Les sommets et commissions se sont succédé depuis le rapport « Brundtland » de 1987 [qui évoquait pour la première fois la notion de développement durable, ndlr]. Pour quels résultats ? Où en est-on au niveau des déchets, de la mobilité, de l’économie circulaire, des démarches d’autosuffisance ? Les ESMS [établissements sociaux et médico-sociaux] sont-ils des exemples de développement durable ? Non. Il ne s’agit pas de stigmatiser le travail social. L’ensemble de la population est marqué par une forme de déni. Quand on est happé par une idéologie de la croissance et de la consommation, il est compliqué de tout arrêter net. Le sociologue Bruno Latour nous rappelle qu’avant d’être humains, nous sommes vivants, terrestres. Or nous continuons à voir le monde à travers nos lorgnettes, en oubliant que l’altérité s’impose à nous – c’est ce qu’on appelle l’anthropocentrisme. On travaillait seul, c’est désormais terminé. Et le travail social, comme les autres secteurs, est concerné par l’écologie.
Il s’agit de s’engager « ici et maintenant » dans la réduction concrète de son empreinte hydrique, énergétique, carbone, en pensant une démarche globale. Cela passe par un retour à l’observation et à l’empirisme, dans la logique des pédagogies Montessori, Freinet, Steiner, etc. Je plaiderais, plus qu’une révolution, pour une réformation par degrés du travail social. Plutôt que d’aller vite, il s’agit de ne pas bifurquer et de privilégier une organisation rationnelle de la démarche.
J’identifie trois modèles, tous ultra-minoritaires : celui des petits pas, celui du sas de passage et celui de l’engagement global. Le premier correspond à la démarche la plus basique de structures qui se dotent de référents RSE et mènent une stratégie sans avoir une conviction ou une appréhension détaillée de la question écologique. Le deuxième renvoie à des structures qui sont entrées progressivement dans le développement durable par le biais d’un projet, et se cherchent encore. C’est le cas de deux Ehpad cités dans mon ouvrage : la Maison Saint-Joseph de Jasseron, dans l’Ain, qui a travaillé à la réduction des déchets alimentaires, et la maison de retraite Les Diaconesses de Strasbourg, qui a réhabilité son parc avant d’ouvrir de nouvelles portes. Le troisième modèle correspond à une façon de voir le monde à travers un filtre vert et de prendre en compte l’impact de l’Homme sur terre.
J’identifie cinq leviers. D’abord, l’empreinte de la direction ou d’une personnalité qui a un fort impact, comme un chargé de mission développement durable ou RSE. Deuxième levier : agir ici et maintenant. L’approche du temps présent développé par les bouddhistes est intéressante. Il ne s’agit pas de porter un regard nostalgique sur le monde, ni de se placer dans une prospective à vingt ans, avec des actions qui ne voient jamais le jour. Mais d’agir tout de suite. Troisième levier : penser la sobriété et la circularité. Emmanuel Druon, directeur de l’entreprise Pocheco, filmé par Cyril Dion dans Demain, parle d’« écolonomie », considérant qu’économie et écologie ne sont pas contradictoires. Quatrième levier : la coopération et le travail en symbiose. On peut évoquer à cet égard les démarches d’horizontalité, les pédagogies nouvelles, qui privilégient les allers-retours, et non l’expertise d’un supérieur hiérarchique. L’expertise se construit en marchant, dans l’adonnement, le don et le contre-don, alors que l’entreprise classique va travailler sur la compétition. Cinquième levier : le rapport à l’altérité dans la biodiversité. La nature, pour reprendre l’idée de l’anthropologue Philippe Descola, est une construction sociale. Le vivant est dans l’humain : il faut s’harmoniser avec, sans faire des animaux une chasse aux sorcières. J’ajouterais un sixième point : l’échelle. J’en fais le constat, les projets qui réussissent sont toujours petits.