J’ai ouvert les yeux dans une chambre inconnue, seule et vaseuse. Un lit simple, une couverture rayée, une table de chevet moche et un placard fermé à clé, décor aseptisé à l’hôpital psy. Je ne me souviens plus vraiment des heures qui ont précédé mon arrivée. Une énième dispute avec mon ex-compagne à propos du petit, une énième insulte d’un bénéficiaire mécontent, une énième facture qui ne passe pas sur le compte, un énième verre avalé seule, tard le soir, le verre de trop, la plaquette de médocs, de toute façon je n’attendais plus rien de personne. De la suite, il ne me reste que quelques sensations fugaces, le sourire rassurant d’un inconnu en blanc, un brancard qui grince, du froid autour de moi.
J’attends le passage du psychiatre, la distribution des médicaments, l’ouverture de la salle de bains, le café de l’après-midi, l’activité thérapeutique. Pendant ce temps, je fume, parce que je n’ai rien d’autre à faire, parce que ça me permet de garder un semblant de vie sociale en partageant quelques taffes avec des patients.
Certains sont prolixes. Samir connaît le service par cœur, il est ici depuis si longtemps. « Parfois je vais bien, parfois je vais moins bien, ça dépend pas de moi, enfin pas vraiment, enfin je sais pas trop. »
Sophie parle fort et rit encore plus fort. Elle fait beaucoup de gestes, avec ses mains, avec sa tête et avec tout son corps. Je l’aime bien Sophie, elle est belle et vivante, elle est tout mon contraire. Moi, mes gestes sont ralentis et ma voix est éteinte, je ne suis qu’une ombre flottant dans un pyjama bleu trop grand, celui qui nous empêche de sortir. Ici il y a les soignants et les patients, ceux qui ont les clés et ceux qui ne les ont pas, ceux qui rentrent chez eux et ceux qui restent ici.
Les soignants vont et viennent autour de nous. Ils tintinnabulent quand ils marchent, c’est le bruit des clés dans leurs poches de blouse. Ici, il faut une clé pour tout : la chambre, le placard, la salle de bains, la salle à manger, le fumoir, le jardin…
Ils doivent avoir peur qu’on fugue, qu’on dorme trop, qu’on se pende avec le flexible de douche, qu’on s’étouffe avec du pain, ou que sais-je encore. Ils ont peur de tout mais c’est nous qui sommes malades.
Ils ont peur pour nous et nous questionnent sans cesse. Comment allez-vous ce matin ? Avez-vous bien dormi ? Vous avez vu le psychiatre ? Le psychologue ? Le médecin ?
Je peine à répondre. Je vais mal, je dors mal et je ne n’ai rien à dire. Ma voix se perd en sortant de mes lèvres, je murmure un mot, me reprends, en souffle un autre, mais ça n’est pas ce qu’ils veulent entendre, je les vois plisser les yeux, prendre quelques notes, je sais bien que je ne les trompe pas. Ils ont une blouse blanche et moi un pyjama bleu, ils ont les clés et je ne les ai pas.