Françoise Héritier était une insoumise. Toute sa vie, elle s’est battue pour l’égalité entre les genres, les droits des minorités, la défense des plus fragiles, la reconnaissance des homosexuels… Spécialiste de l’histoire des femmes et journaliste, Laure Adler était son amie. Elle lui rend un hommage appuyé dans son dernier livre Le goût des autres. Petite-fille de paysans, c’est à la campagne que l’anthropologue, décédée en 2017, comprend « qu’une fille ne vaut pas un garçon ». Son frère peut rester assis à ne rien faire, pas elle, ni sa sœur. Il peut faire des études, elles doivent être mères au foyer. Françoise Héritier se réfugie dans la littérature et l’histoire pour échapper à une mère qui la traite de « pauvre fille » parce qu’elle veut étudier plutôt que chercher un mari. A la Sorbonne, elle rencontre le père de l’anthropologie Claude Lévi Strauss. La passion est contagieuse, sa voie est trouvée : elle ira voir ailleurs comment vivent les gens. Comme son maître, elle estime que les émotions « font partie de la démarche scientifique », elles sont même au moins aussi importantes que la pensée. En 1965, elle s’envole pour la Haute-Volta, son premier terrain de recherche. Les rapports de parenté et la généalogie deviennent sa spécialité. Le corps comme fondement de l’organisation des sociétés est au cœur de ses travaux. Ainsi, selon elle, le fait que les femmes soient plus petites que les hommes ne relève pas du biologique mais d’une construction sociale : « Depuis la préhistoire, les hommes se sont réservé les protéines, la viande, les graisses, tout ce qui était nécessaire pour fabriquer des os. » C’est elle aussi qui soulignera que « nous sommes les seuls parmi les espèces où les mâles tuent les femelles ». En 1983, elle est la deuxième femme à intégrer le Collège de France. Toute sa vie, elle a cherché à comprendre « ce qu’elle nomme la “logique du social”, le soubassement universel à toutes les cultures ». Une femme engagée à découvrir ou redécouvrir.
« Françoise Héritier, le goût des autres » – Laure Adler – Ed. Albin Michel, 21,90 €.