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Des établissements pris en étau

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La crise sanitaire et le conflit ukrainien font payer un lourd tribut au secteur social et médico-social. L’inflation et l’augmentation du coût des énergies menacent fortement l’équilibre budgétaire de nombreuses structures déjà fragilisées. Le déploiement de nouvelles mesures s’impose face au risque de la fermeture de services.

La période est au chiffrage. Rendue publique début octobre, une enquête menée auprès des adhérents de l’Unhaj (Union nationale pour l’habitat des jeunes) indique que 81 % d’entre eux connaîtront un déficit de plus de 10 % dès lors que le coût de l’énergie augmentera de 300 %. « Il y a un enjeu de survie. Nous avons rencontré Olivier Klein, ministre délégué chargé du logement, pour alerter. Il y a un an, 16 % des structures connaissaient un déficit supérieur à 10 %. La situation économique de certaines les empêche de trouver des fournisseurs », dénonce Marianne Auffret, directrice générale de l’Unhaj.

Face au contexte inflationniste et à l’augmentation du coût des fluides (gaz et électricité), les structures sociales et médico-sociales envisagent un funeste avenir budgétaire, marqué par de nombreuses incertitudes pour 2023. L’urgence transparaît par le nombre d’études menées au sein des fédérations. Leur but : mesurer l’impact de la hausse des coûts sur le fonctionnement de leurs adhérents pour justifier une demande d’aide de l’Etat et des collectivités territoriales. Les résultats confirment les difficultés : « 90 % des adhérents répondants, partout en France, sont fragilisés dans leur fonctionnement par la hausse de l’inflation », soulignait déjà Hugues Vidor, président de l’Udes (Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire) dans un communiqué publié début octobre. Nous demandons un soutien financier significatif en direction des associations et des coopératives pour leur permettre de surmonter cette période, sous forme de dotations et de solutions de prêts en quasi-fonds propres. »

Le constat est unanime, la fermeture de services paraît inéluctable. Cette crise économique intervient dans un contexte d’extrême tension du secteur, par manque d’attractivité et de moyens. « Les revalorisations salariales du Ségur de la santé n’ont pas été intégralement prises en charge par l’Etat. Elles s’ajoutent à l’inflation et de nombreux établissements se trouvent en grande difficulté », détaille Céline Filippi, conseillère technique pour l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux).

Les acteurs dénoncent aussi la non-prise en compte du taux d’évolution acté pour les budgets 2022. En effet, chaque année, les établissements et services réévaluent leurs tarifs. L’Etat fixe ensuite les valeurs au regard de l’inflation et de l’évolution de la masse salariale. Par anticipation, pour cette année, l’augmentation avait été fixée à 0,47. « Or, le coût des matières premières augmentait déjà avant le conflit ukrainien en raison de la crise sanitaire », rappelle Céline Filippi.

Projection impossible

A cela s’ajoute un défaut de visibilité sur les variations du coût des fluides. Une instruction des ministères de la Santé et des Solidarités datée du 13 octobre enjoint aux agences régionales de santé (ARS) de recenser les établissements médico-sociaux en fragilité d’approvisionnement à court terme. Elle invite les directeurs d’établissements à mettre en place des mesures de continuité énergétique et un plan de contrôle des équipements de production électrique de secours. « Les tarifs négociés pour notre nouveau contrat de gaz sont 400 % supérieurs au précédent. Ils s’appliquent depuis le début du dernier trimestre. L’impact annuel s’élève à 200 000 €. Quant à l’électricité, nous serons a priori concernés en juillet prochain, avec une hausse équivalente », relève Renaud Bonnami, directeur général de l’association Les Amitiés sociales qui gère 720 logements de type foyers de jeunes travailleurs à Rennes et dans sa banlieue. « Passé un certain seuil, nous devrons envisager le dépôt de bilan. »

Même écho de l’association girondine Hapogys, spécialisée dans l’accompagnement des personnes en situation de paralysie cérébrale. « Les tarifs de mon dernier contrat de gaz sont multipliés par cinq », déplore Julien Bernet, son directeur général. « En interne, nous raisonnons comme on le fait chez nous, en étant attentifs aux fermetures de fenêtres par exemple. Nous sensibilisons les salariés et nous menons des réflexions d’optimisation pour les travaux de réhabilitation. Mais nous n’avons pas de baguette magique. Je mets quiconque au défi de compenser la hausse des coûts par une baisse de consommation. »

Sceptiques sur des actions qu’ils qualifient de « mesurettes », les responsables d’établissements pointent les particularités des publics qu’ils aident. Les personnes âgées et/ou polyhandicapées ne peuvent pas supporter une baisse significative des températures durant la nuit sans qu’elle nuise à leur santé et à leur qualité de vie. « L’accompagnement des structures est d’autant plus important sur ce plan-là que différentes dispositions imposent de baisser la consommation énergétique de 40 % d’ici à 2050 [voir encadré page 6] », précise Céline Filippi. La hausse du coût de l’énergie et l’impact des revalorisations salariales du Ségur, non indemnisées par l’Etat, ne constituent pas les seuls motifs à la pression financière qui s’exerce sur le secteur. Sans être une problématique nouvelle, le prix du carburant s’y ajoute par exemple. « En zone rurale, dès cet été, la diminution de tournées de services d’aide à domicile a dû être décidée », pointe encore la conseillère technique.

Parmi les solutions d’économies pour endiguer les difficultés, l’association France terre d’asile s’oriente désormais vers l’achat de matériel reconditionné et d’occasion : mobilier, électroménager, ordinateurs… « Presque aucun de nos dispositifs n’a reçu la compensation Ségur pour 2022 », témoigne son secrétaire général, Olivier Laviolette. « Nous payons les salariés avec notre trésorerie, divisée par deux en six mois. Nous sommes assez solides pour tenir, mais d’autres associations nous confient que leur situation financière est déjà très tendue. La prise en charge tarde car les collectivités et les services de l’Etat se renvoient la balle. » Garante de 80 dispositifs, l’association a inscrit dans son budget 2023 une hausse de 15 % pour l’énergie, à hauteur du bouclier tarifaire. « Un chiffre pour mettre un chiffre, car en réalité nous sommes dans le brouillard », avoue Olivier Laviolette.

Des modèles à revoir

Autre exemple : les personnes accompagnées en résidences sociales. Protégées par un système de redevance strictement encadré, celles-ci ne connaissent pas de variation du montant de leur loyer, charges comprises. Il revient donc aux structures de régler les coûts supplémentaires liés au contexte. L’Unhaj et l’Unafo (Union professionnelle du logement accompagné) proposent au gouvernement d’accorder une aide exceptionnelle qui consisterait à verser directement aux structures les « chèques énergie » dont bénéficient les ménages les plus modestes. « Cette mesure et la mise en place d’un bouclier tarifaire pour l’électricité seraient salutaires. Pour ce qui est du gaz, la prolongation du bouclier tarifaire est prévue avec une modification de plafond. Nous savons donc que ce sera moins protecteur l’an prochain », insiste Marianne Auffret. Il est, par ailleurs, impossible pour ces structures de gérer leurs recettes face aux fluctuations des taux d’emprunt et du prix des fluides, en raison de leur encadrement.

Bien entendu, l’aide alimentaire n’est pas épargnée par la hausse des prix. Basée dans l’Allier, l’association Sagess qui intervient dans les domaines de l’enfance, du handicap et du vieillissement, connaît une augmentation de 30 % de son budget mensuel depuis juillet. « Nous ne l’avons pas répercutée sur le coût des repas. Mais nous allons peut-être en arriver là, ce qui mettrait en difficulté les familles. Aujourd’hui, nous sommes déficitaires, le financeur doit se positionner », insiste Betty Derache, directrice de la plateforme « accompagnement social » de l’association.

Dans un courrier adressé le 18 octobre à Emmanuel Macron, l’Uniopss demande la mise en place de mesures permettant aux associations de poursuivre leurs actions. Un appel à l’aide qui rejoint les précédents.

L’inflation n’épargne pas non plus les associations en charge de la distribution alimentaire. « Les factures augmentent, c’est vrai pour nos dépenses d’énergie comme pour le coût des repas que nous distribuons. Nous faisons le maximum pour que les personnes que nous accompagnons soient le moins impactées possible et tenons à maintenir nos prestations au même niveau. Pour cela, nous comptons sur un élan de générosité de nos donateurs », indique Samuel Coppens, porte-parole de l’Armée du Salut. Difficile de devoir en arriver là.

Un accompagnement primordial

En parallèle de mesures isolées pour limiter les dépenses conjoncturelles au sein des structures, le gouvernement souhaiterait, par son plan de sobriété énergétique, extirper la France de la dépendance aux énergies fossiles et en réduire la consommation de 40 % d’ici à 2050.

Si l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (Anap) propose des outils tels que le réglage des équipements ou l’implication des collaborateurs, des mesures d’envergure ne pourront être évitées. « En matière d’investissement, le secteur est très en retard. Ce volet ne pourra pas être efficace sans qu’il soit couplé à un accompagnement des structures », assure Céline Filippi, conseillère technique pour l’Uniopss. La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et la direction générale de l’offre de soins (DGOS) financent les contrats de 150 conseillers et coordinateurs pour l’accompagnement de 5 000 établissements sanitaires et médico-sociaux d’ici à 2024. Pour l’heure, 42 conseillers et 11 coordinateurs sont en poste. Menées de longue date, des actions font déjà leur preuve dans certaines structures. « Nous disposons de panneaux solaires depuis 15 ans. Deux millions d’euros ont été investis sur cinq années pour l’achat de voitures électriques », témoigne Daniel Carasco, directeur d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs) à Nîmes. « J’anticipe au maximum pour rendre la structure autonome et, en termes d’économies, je vais être drastique. »

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