Recevoir la newsletter

PJJ : « Délinquant n’est pas une identité en soi »

Article réservé aux abonnés

Éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse et co-secrétaire du SNPES-PJJ/FSU, Sonia Ollivier a participé à l’ouvrage collectif L’insertion des jeunes : question de justice ? (éd. Syllepse, 2022).

Crédit photo DR
Dans « L’insertion des jeunes : question de justice ? », des professionnels de la justice et du social s’interrogent sur leurs pratiques. Pour Sonia Ollivier, éducatrice à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), il faut miser davantage sur l’accompagnement éducatif du mineur et ne pas oublier qu’il s’agit d’un enfant en construction.

Actualités sociales hebdomadaires - Cet ouvrage est écrit par et pour Les professionnels. Manquent-ils d’échanges sur leurs pratiques ?

Sonia Ollivier : Aujourd’hui, tout le monde travaille de façon un peu cloisonnée. Les juges, qui prononçent des obligations d’insertion, ne savent pas toujours concrètement en quoi cela consiste et n’ont pas le temps de visiter les structures, qu’il s’agisse de milieu ouvert ou fermé. Les avocats plaident pour des peines qu’ils ne questionnent pas forcément, comme le travail d’intérêt général, auquel ils ont de plus en plus recours pour les mineurs car il est perçu comme un formidable levier d’insertion. La tendance est similaire chez les travailleurs sociaux. Que ce soient les éducateurs de l’Aide sociale à l’enfance ou de la PJJ, les collègues qui travaillent en foyer ou en milieu ouvert méconnaissent l’action des services éducatifs et d’insertion.

Pourquoi toujours penser l’insertion à travers le prisme professionnel ?

Il y a toujours eu cette conviction qu’un gamin dans la rue va « re-délinquer » et qu’il faut donc rapidement lui trouver une occupation. De plus en plus, la commande judiciaire tourne autour de l’injonction à se mettre au travail. Or les professionnels de l’éducation savent tous que la reprise d’une activité de formation vient clore un accompagnement éducatif pertinent. Lorsqu’un jeune arrive à s’inscrire dans quelque chose de durable, c’est que nous avons réussi à faire en sorte qu’il se reconstruise, qu’il ait à nouveau confiance en lui, qu’il accepte son parcours, apprenne de ses erreurs et cesse d’adopter des conduites à risque. S’il s’insère professionnellement, alors c’est un signe positif qui traduit un processus de maturation et d’émancipation. L’insertion englobe donc de nombreux autres paramètres : familiaux, sociaux, de santé mentale et physique…

La justice exige-t-elle davantage du jeune que de la société ?

L’évolution dans notre métier d’éducateur est telle que l’on ne part plus de ce qu’est le jeune et de ce qui peut l’animer. On cherche absolument à le mettre dans une case, à lui trouver un métier correspondant au marché du travail. On réfléchit en termes de bassin d’emploi et de formation qualifiante. Je considère que mon travail ne consiste pas à dire : « Il a été embauché, c’est bon ! », mais de l’aider à comprendre qu’il est bénéfique pour lui d’avoir une place dans la société. Historiquement, les structures d’insertion à la PJJ laissaient beaucoup d’espace à l’autonomie pédagogique. De nombreux projets émanaient des éducateurs et de leur savoir-faire. Dans les années 1970, on a vu émerger des projets comme des wagons de la SNCF transformés en restaurants d’application, des ressourceries où on allait fabriquer des meubles avec les jeunes pour les revendre sur des brocantes… Progressivement, nos missions ont évolué. Jusqu’à la récente réforme – code de la justice pénale des mineurs (CJPM) – qui ambitionne d’accélérer les procédures pénales. Dans ce cadre, on ne rend plus des rapports globaux d’évolution, dans lesquels la question de l’insertion s’articule avec le reste. L’éducateur référent doit rendre des comptes très factuels directement au magistrat. On ne prend plus non plus le temps de rechercher l’adhésion du jeune, alors que cette phase est essentielle pour travailler sur le long terme. Je suis stupéfaite de ce que la justice attend parfois de jeunes avec des parcours extrêmement chaotiques et marqués par la violence.

En quoi la délinquance des jeunes est-elle devenue un enjeu politique ?

Le regard sur la jeunesse en difficulté a profondément changé, notamment avec l’exploitation politique du thème de l’insécurité qui a beaucoup visé les jeunes et les immigrés. La médiatisation a joué en faveur d’une justice plus répressive et plus expéditive. Mais chaque génération a connu une jeunesse réfractaire à l’autorité et à la loi : les blousons noirs, l’immigration portugaise et italienne avec des gamins violents qu’on stigmatisait… La délinquance des adolescents évolue en miroir de la société qu’on leur propose et des étiquettes qu’on leur colle. Plus ils se sentent dangereux, plus ils s’associent à cette image. Cela peut donner de la force de voir qu’on fait peur. On ne prend plus en considération qu’il s’agit d’enfants en construction. Délinquant, ce n’est pas une identité en soi, ça peut être transitoire : 65 % des mineurs qui passent par la PJJ ne récidivent pas. Le vocabulaire est lui aussi éloquent : on ne parle plus de « justice des enfants » – termes que l’on garde pour la protection de l’enfance – mais de « justice des mineurs », qui se rapproche de celle des majeurs. Désormais, ils sont a priori responsables sur le plan pénal.

Le problème est-il aussi budgétaire ?

La PJJ dispose de moyens mais ils sont alloués aux centres éducatifs fermés et aux prisons pour mineurs. Les foyers et les milieux ouverts en manquent de façon évidente. Quant aux unités d’insertion, on leur demande d’aller chercher des fonds à l’extérieur, comme auprès du Fonds social européen, ou de travailler avec des bouts de ficelle. Mais il ne s’agit pas que d’un problème d’argent. Depuis vingt-deux ans que je suis éducatrice, je le vois bien : à la fin, il faut punir. Un gamin qui a eu une évolution positive pendant deux ans de suivi éducatif, on le valorisera certes au moment du jugement, mais on mettra tout de même une sanction. Avant, on tenait davantage compte de son parcours. Le fait de voir un éducateur tous les quinze jours pendant trois ans était déjà en soi une forme de sanction éducative.

Quels sont les « pré-requis » pour une bonne prise en charge ?

Plusieurs axes sont reconnus pour ces travailleurs sociaux, comme le fait d’aller bien, d’avoir ses propres cadres de socialisation et une confiance dans la continuité de son action. La reconnaissance de ses compétences, l’existence d’espaces collectifs d’échanges et de « disputes » sur le travail, qui favorisent le développement de soi et de son métier, comptent également. Enfin, être soi-même un modèle identificatoire positif. Il est évident aussi qu’accompagner les jeunes qui nous sont confiés dans leur projet d’insertion exige de la formation, des aptitudes spécifiques et de bonnes conditions de travail. Il faut pouvoir faire preuve d’empathie, de patience, être en capacité d’analyser les facteurs de vulnérabilité, les freins à l’apprentissage mais aussi les qualités, les envies du jeune, et savoir travailler en interdisciplinarité. Actuellement la « vocation » pour les métiers du social fait cruellement défaut, en raison justement d’un manque de reconnaissance et de conditions de travail difficiles. D’où un recrutement élevé de personnels peu ou pas formés.

Entretien

Protection de l'enfance

Juridique

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur