C’est un domaine très vaste qui regroupe l’ensemble des pratiques consistant à utiliser le sport dans une perspective d’accompagnement social. En réalité, il ne faudrait d’ailleurs pas parler d’insertion par le sport car cette formule est « concurrencée » par d’autres : intégration par le sport, inclusion sociale par le sport, etc. Or les intentions politiques ne sont pas les mêmes selon les termes employés. Au sein du master « Développement, intégration, socialisation et culture », que je coordonne à l’université de Rennes, nous préférons parler de « socio-sport », appellation à la portée plus globale qui renvoie à tous les usages du sport à vocation d’accompagnement social et éducatif. Mais cette dénomination ne vaut que pour la France, les Anglo-Saxons parlant davantage de « sport for development ». Une formule très discutable, qui induit que le sport peut être au service du développement des sociétés. Cette manière de penser est un peu désuète, dans la mesure où cela suppose qu’il n’y a qu’une voie unique de développement, qu’il existerait des sociétés développées et d’autres moins.
Selon le sociologue Robert Castel, il existe deux modèles d’intervention sociale. D’un côté, celui de l’assistance, qui relève du soin adressé à des publics qui ne sont pas en capacité « corporellement » de travailler. De l’autre, le modèle de l’assurance, du mérite, qui s’adresse aux individus aptes à travailler et cotisant pour prévenir le risque de chômage. Dans les années 1980, une nouvelle pauvreté a émergé, soudaine et massive. Elle touche des personnes qui sont insérées socialement, savent lire et écrire et sont pour certaines diplômées. Ce phénomène a mis à mal ces deux voies distinctes de l’intervention sociale conceptualisées par Robert Castel et les a reconfigurées. Une série de microdispositifs ont été créés pour s’adapter à la particularité des situations. Le sport, dans ce contexte, a commencé à être perçu comme un outil pertinent permettant de reconstruire l’employabilité des personnes en situation de vulnérabilité. Il a d’abord été utilisé en direction des jeunes des quartiers pour répondre aux flambées de violences apparues dans les années 1980-1990 et très médiatisées. Une communication politique autour du sport s’est alors développée. Elle s’est traduite notamment par la construction de terrains de foot au milieu de certaines banlieues, bien souvent sans réel accompagnement humain.
A chaque fois que l’on envisage la migration, la délinquance, la violence ou le chômage à travers le prisme du sport, leur dimension politique disparaît complètement. Comme si cette activité était apolitique. Je suis intimement convaincu que c’est tout l’inverse : le sport est politique. Une leçon de natation adressée à des chômeurs de longue durée, par exemple, aura des résultats différents selon l’approche donnée. Ce cours peut consister à faire des longueurs, à s’inscrire dans un projet de performance mesurée afin de retrouver une forme de respectabilité de soi, de réacquérir des réflexes d’hygiène… Ce traitement politique du chômage met l’accent sur la responsabilité de l’individu, la lutte contre une forme de laisser-aller. L’objectif est de reconstruire une employabilité morale. Ce n’est évidemment pas la même chose que de proposer des séances de natation qui mettent l’accent sur le plaisir, la sensibilité esthétique, l’écoute de soi, le rapport au corps. Ici, on envisage le demandeur d’emploi comme quelqu’un qui est privé d’un droit à la pratique sportive, au plaisir et à l’épanouissement.
Si, dans les années 1980, le sport avait pour objectif de prévenir les violences et les tensions dans les quartiers, il est devenu plus éducatif et social dans les années 2000-2010. Mais comme le montrent les travaux de recherche en sociologie, pour que le sport ait des effets, il faut que travailleurs sociaux, ONG, associations et organisations sportives opèrent en étroite collaboration. Cela bouscule leur routine, leur culture professionnelle. J’ai récemment interrogé un responsable d’organisation sportive et une éducatrice spécialisée qui accompagnaient des demandeurs d’asile. Ils étaient d’accord sur l’intérêt du sport, mais à la question de savoir ce qui était utile dans l’activité sportive pour le demandeur d’asile, les réponses ont divergé. L’éducateur sportif était très précis dans la description des séances (organisation, recherche de performance, etc.) alors que l’éducatrice spécialisée estimait que le sport permet d’abord aux demandeurs d’asile de souffler, de respirer dans leur parcours de vie compliqué. La représentation d’un sport inévitablement salutaire empêche parfois de penser aux conditions qui lui permettent de l’être vraiment.
Dire que le sport a des limites, qu’il ne peut pas régler des problématiques de logement, de langue, d’isolement social, etc., ne signifie pas qu’il est inutile et sans effets. Mais dans les discours et les pratiques, il y a des écueils un peu contradictoires. Le premier consiste à penser que le sport peut à lui seul éduquer des jeunes en décrochage scolaire, permettre l’accueil ou le traitement de la migration, aider des jeunes en sous-main de justice ou encore soutenir des femmes victimes de violences conjugales. La portée même de l’outil sportif est surestimée. On voit bien que les objectifs qui lui sont conférés vont au-delà des effets qu’il peut avoir. En étant provocateur, on pourrait dire que, plutôt que d’une activité sportive, les personnes sans abri ont surtout besoin d’un logement, celles sans emploi d’un travail. L’impression est que, parfois, le sport est avancé comme un outil magique, à défaut d’autres solutions d’accompagnement social. Paradoxalement, le second écueil consiste à l’utiliser d’une manière un peu intuitive. Comme si, au final, le sport allait forcément produire du bien. Il n’y aurait donc pas besoin de le réfléchir, de l’appréhender comme un outil à utiliser d’une manière spécifique selon les situations des uns et des autres. Or il est évident qu’un cycle de natation proposé à de jeunes mineurs non accompagnés n’aura pas les mêmes effets que le même cycle proposé à des chômeurs de longue durée.