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Les services sociaux démunis

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Depuis deux ans, les crises s’enchaînent, et font basculer dans la précarité des publics jusqu’ici invisibles aux yeux des professionnels. Entre non-recours, absence de dispositifs adaptés et hausse importante de la demande, les structures et associations se retrouvent bien souvent démunies pour les accompagner.

La « trêve » n’aura été que de courte durée. « A peine quelques mois en 2021, estime Houria Tareb, secrétaire générale de la fédération de Haute-Garonne du Secours populaire français. Depuis le printemps dernier, et en particulier cet été, le nombre de personnes qui font appel à nous est affolant. D’habitude, à cette époque de l’année, c’est plutôt calme. » Et parmi ces personnes – c’est là le plus inquiétant –, des publics jusqu’ici pour partie inconnus des associations et des travailleurs sociaux. Tel ce quinquagénaire rencontré il y a quelques jours par la responsable toulousaine, qui, pour avoir dû s’acquitter de frais vétérinaires exorbitants, ne peut plus honorer son loyer. Ou cette mère solo qui, ne perçevant plus que son fixe de commerciale à la suite d’une longue maladie, n’a plus de quoi procurer à ses enfants des fournitures scolaires pour la rentrée. En somme, des personnes qui se sentaient jusqu’alors protégées, mais ne sont plus à l’abri désormais de se retrouver du jour au lendemain en état de précarité.

Si ces profils marquent tant les esprits, c’est aussi parce qu’ils détonnent par rapport aux figures habituelles. Qui sont-ils ? De quoi ont-ils besoin ? Quelles aides mobiliser pour eux ? Le recul manque sur ces « nouveaux » publics, dont l’apparition récente ne permet pas encore d’identifier toutes les particularités, ni même de savoir s’ils concernent aussi ceux qui étaient déjà en difficulté pendant la crise sanitaire. Sur ce dernier point, Nicolas Duvoux, président du comité scientifique du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), se veut très prudent : « La crise sanitaire a occasionné plusieurs évolutions, parmi lesquelles la plus notable est sans doute le basculement de personnes qui étaient déjà en lisière de la pauvreté et qui, à cause de la crise, n’ont plus pu subvenir à leurs besoins. Cela a été particulièrement visible pour les étudiants, mais aussi pour d’autres catégories comme les petits indépendants et, au-delà, les travailleurs saisonniers ou précaires. Ces difficultés révèlent des défaillances de la protection sociale, si bien que, dans un contexte où l’inflation fait surgir le spectre d’un appauvrissement massif de la population, des catégories déjà identifiées lors de la crise sanitaire se retrouvent de nouveau fragilisées. »

SOS par mail

L’avenir seul pourra dire combien sont concernés. Néanmoins, s’agissant de leurs besoins, les remontées de terrain autorisent à dresser un premier panorama d’une situation qui « inquiète particulièrement » les acteurs du médico-social. « Depuis le début de l’année, on a une explosion des demandes pour des bons alimentaires, si bien que nous sommes déjà à court le 15 du mois, s’alarme Anne-Laure François, responsable du service social au centre communal d’action sociale de Hyères-les-Palmiers (Var). L’hiver arrivant, on risque aussi d’avoir une vague de difficultés liées à l’énergie. Déjà, en temps normal, des publics ne se chauffent pas ou très peu. Mais avec la hausse des prix, combien seront-ils dans ce cas ? Certainement davantage qu’on l’imagine. » Pour eux, il s’agira de dénicher, parmi la ribambelle de dispositifs, le coup de pouce financier qui leur permettra de sortir des angoisses quotidiennes de la survie.

Mais si la prise en charge de ces publics passe souvent par une aide financière ponctuelle pour boucler une fin de mois difficile, il est une situation que les professionnels avaient sous-estimée : la nécessité d’apporter un soutien psychologique. « Demander de l’aide, c’est compliqué, d’autant plus lorsque c’est la première fois. Il y a un sentiment de désarroi et de honte à ne plus arriver à être autonome et à devoir faire appel à la société pour pouvoir manger. On le voit dans la façon dont ils nous sollicitent : la plupart du temps par mail, pour éviter le regard des autres. En particulier avec ces publics, il faut passer du temps à les rassurer. Ce que nous ne pouvons faire qu’en partie, étant donné le temps dont nous disposons », constate amèrement Houria Tareb. Faute de temps, mais aussi de formation sur ces enjeux de santé mentale, les professionnels auraient tout intérêt à pouvoir s’appuyer sur un réseau de spécialistes. Un vœu pieu, de toute évidence : « Vu le contexte de saturation des dispositifs, je ne vois pas comment il va être possible d’absorber de nouvelles demandes. Globalement, nous ne sommes pas très optimistes sur la suite. Le pire étant que je n’ai pas l’impression que les pouvoirs publics aient pris la mesure de cette réalité. Nous, on fait ce qu’on peut, mais c’est usant de voir tant de tristesse et de fatigue chez les gens », poursuit la responsable toulousaine.

Gare aux interstices

Pour ces personnes ordinairement invisibles pour les professionnels, il s’agit aussi de lutter contre le non-recours. Une problématique que la crise a remise au goût du jour, mais dont les difficultés persistent, selon un constat global dressé par le CNLE dans son baromètre publié en mai dernier(1). En parallèle réapparaissent également les contraintes liées à la dématérialisation des services publics. « D’autres personnes qui jusque-là étaient autonomes dans leurs relations avec les administrations sont démunies face aux difficultés à les joindre et perdent contact avec elles. […] Cette moindre accessibilité est à l’origine d’un non-recours dont, par définition, les acteurs ne connaissent pas l’ampleur », note encore le CNLE.

Autre faille révélée par la crise : l’augmentation de populations dites « interstitielles », dont la situation ne permet ni d’être autonomes financièrement ni d’être aidées. « De manière évidente, il y a un manque de ce point de vue-là. Signe qu’il existe des fragilités structurelles que nous n’avons toujours pas réglées. Il en va ainsi des jeunes, pour qui la question de l’accès à un revenu se pose toujours, même si le contrat d’engagement jeune a progressé dans cette direction ; mais aussi des petits indépendants et autres travailleurs précaires. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on se retrouve à nouveau devant les mêmes impasses », soulève Nicolas Duvoux.

Ne serait-ce pas là pourtant l’opportunité de mener une « réflexion collective de fond de façon à permettre à tout le monde d’avoir des revenus décents sans se retrouver sur le fil du rasoir en permanence » ? Tel est le souhait de la FAS (Fédération des acteurs de solidarité). « Aujourd’hui, l’axe fort du gouvernement est le plein emploi, explique Nathalie Latour, sa directrice générale. Or, pour y parvenir, il faut que cette position s’accompagne d’une analyse sur la question des modalités de travail, du montant des salaires et de la répartition de la richesse. Avec l’objectif d’éviter les effets de trappe que nous connaissons actuellement. On entend cependant un discours actuellement très stigmatisant autour des classes modestes et moyennes, dont les frontières sont extrêmement minces. Plutôt que les opposer, ciblons plus largement les populations afin d’éviter que leurs situations basculent. »

Vaste chantier que celui dans lequel les acteurs de la solidarité aspirent à s’engager. A l’heure, toutefois, où les négociations vont bon train autour du projet de loi de finances (PLF) pour 2023, leur mobilisation n’en est que plus belle. « Il y a un enjeu énorme tant en termes de prévention que d’accompagnement. On parle beaucoup de la question du travail et de l’insertion, mais il ne faut pas oublier tout ce qui se joue autour de l’hébergement et du logement. Dire qu’on supprime 14 000 places d’hébergement d’urgence alors que des milliers de personnes se retrouvent à la rue et qu’on est dans un contexte géopolitique et économique aussi instable, cela nous paraît invraisemblable. Comment, dans un tel contexte, n’a-t-on pas notamment une politique de logement plus ambitieuse ? », s’offusque Nathalie Latour.

Un pas après l’autre

Dans ce projet de loi, pointe enfin la responsable fédérale, plus inquiétante est l’éventuelle absence de compensation de l’impact de l’inflation pour les associations qui interviennent en proximité. « Si celles-ci ne reçoivent rien pour les aider à contrer les effets de la hausse du coût de l’alimentation et du carburant, nombreux sont ceux qui vont mettre la clé sous la porte. Si on en arrive là, cela va être une catastrophe. » Sur le terrain, la motivation perdure, malgré ces sombres prévisions : « Crise ou pas, on a appris à trouver des parades et à s’appuyer les uns sur les autres pour s’adapter aux problématiques qui évoluent sans cesse. Il est clair qu’on va avoir affaire à un hiver sans doute très occupé, mais on avisera au jour le jour, comme on l’a toujours fait. »

Vrais ou faux nouveaux pauvres ?

Passé l’effet de sidération causé par la vision des longues files d’attente pour l’aide alimentaire durant le confinement, le temps de l’analyse est venu. Au fil des semaines durant la crise sanitaire, des publics inattendus, « nouveaux pauvres » de la pandémie, ont occupé le devant de la scène. Conduite entre juin et septembre 2020, une étude « flash » pour l’Observatoire des Restos du cœur(1) remet toutefois en question l’idée majoritairement admise selon laquelle la crise aurait touché davantage les « nouveaux publics ». « L’étude menée tend à nuancer et à complexifier cette dichotomie en montrant que le processus de précarisation impliqué par la crise touche aussi bien des personnes nouvellement inscrites que des publics déjà accueillis par les Restos », peut-on lire dans la synthèse de l’étude. Qualitative et quantitative, l’enquête permet d’identifier quatre types distincts, parmi lesquels deux – les « nouveaux classiques » et les « nouveaux profils » – sont apparus dans l’association après mars 2020. Ces derniers, qui regroupent 15 % des personnes accueillies pendant le confinement, ont subi de plein fouet les conséquences de la pandémie, tant sur le plan économique (93 % d’entre eux, contre 78 % des « historiques »), que sur ceux professionnel ou alimentaire. Composé à 80 % de femmes, ce groupe comporte des personnes dont les situations de fragilité n’ont pu être contrecarrées, la crise ayant épuisé leurs derniers filets de protection. Les « nouveaux classiques », quant à eux, représentent 10 % des personnes accueillies. Il s’agit d’usagers dont la trajectoire était déjà perturbée par des situations de précarités installées et que la crise a aggravées.

Notes

(1) « Baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale du CNLE. Synthèse des résultats définitifs de l’étude de faisabilité », mai 2022 – Disponible sur www.cnle.gouv.fr.

(1) « Etude flash sur les effets de la crise sanitaire (Covid-19) sur les publics reçus par les Restos du cœur », fév. 2021 – A lire sur bit.ly/3CwS4zS.

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