Il est de ceux que l’on ne remarque pas. Il se lève seul, s’habille seul, mange seul. Il va et vient au milieu du service, passant d’une pièce et d’une activité à l’autre, en toute discrétion. Sur lui, pas beaucoup de transmissions. Il ne pose aucun problème particulier. On ne lui connaît pas vraiment d’amis ici, il s’entend avec tout le monde sans être proche de personne. Jérôme, c’est comme s’il se contentait juste d’être là. Sa présence ne se remarque pas, son absence non plus.
C’est jour de synthèse, et l’équipe est bien embarrassée. On lit et relit le projet d’accompagnement personnalisé, et on n’y trouve rien de très palpitant. « Maintien des acquis, maintien des relations familiales, activités manuelles pour préserver la motricité. » L’équipe n’a pas démérité. Tout ce qui est écrit a été réalisé.
Jérôme se gère seul, commence l’aide-soignante. Il faut parfois une guidance pour le ménage, mais pour la toilette il se débrouille. Ce n’est pas comme Loïc, qu’il faut tanner pour qu’il change de pull.
Il ne pose pas de difficulté lors de la prise des médicaments, ajoute l’infirmière. De toute façon, il n’en a que très peu, pas comme d’autres qui ont un traitement de cheval, soupire-t-elle.
Il dort bien, ajoute la veilleuse. Sur les transmissions de la nuit, cela varie peu. Jérôme dort à chaque passage. Il ne fait pas partie de ceux qui se relèvent, déambulent ou réclament un somnifère si besoin pour s’endormir.
« Et dans les activités, il est comment ? », demande la cadre à l’animateur. Là encore, rien de transcendant. Il vient à l’heure et participe, dans la mesure de ses capacités. On ne saurait dire s’il y prend plaisir. Là encore, les transmissions se suivent et se ressemblent. « Participation aux activités jardinage, bricolage, peinture… »
Dans les interactions avec le groupe et l’équipe, il est adapté, plutôt effacé, et ne se fait jamais remarquer, précise l’éducateur.
« Du coup, pour le nouveau projet ? », demande la cadre. Silence confus. Mmm… maintien des acquis ? Mais c’était déjà ça l’an dernier, et l’année d’avant. Et sans doute comme celle d’encore avant. Et si on remontait un peu dans le dossier ? Il y a un an, deux ans, dix ans, qu’avait-on écrit pour lui ? Alors on remonte. Maintien des acquis. Bis repetita. Jérôme était déjà le Jérôme que tous connaissent ici : discret, silencieux, pas de vagues.
Les regards se tournent vers le stagiaire infirmier, lui qui est nouveau ici, il a peut-être un regard neuf à proposer à l’équipe ? Benjamin est embarrassé, il n’a pas encore eu le temps de mémoriser les noms des patients, et il ne voit pas vraiment qui est ce Jérôme dont tout le monde parle. Il est brun avec des lunettes, lui dit l’infirmière. Comme la moitié des résidents du service. Il n’est pas très grand, ajoute l’aide-soignante. Il est assis en face de Soumya à table, finit l’ASH.
Aaaah ! Enfin une info utile ! Soumya, très grande femme, voix tonitruante et caractère affirmé, il voit parfaitement qui c’est. Et par déduction, Jérôme, oui, il le devine maintenant. L’exact opposé. Jérôme, le patient discret, qu’on ne peut décrire qu’en le comparant aux autres. Et pourtant, comme les autres, il est là.
Alors, d’un commun accord, l’équipe s’attelle à la rédaction d’un nouveau projet. « Maintien des acquis », pour commencer. Et… Et ?