Le droit à l’éducation est un droit fondamental universel qui reste exclusif de nombreux enfants en situation de handicap, comme en témoigne le contentieux porté devant les juridictions administratives.
Rappelant le principe posé par le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Laruelle » qu’il a étendu aux établissements et services médico-sociaux (ESMS) selon lequel il incombe à l’Etat de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif (CE, 8 avril 2009, n° 311434, Laruelle), le juge judiciaire a récemment précisé que l’obligation de résultat, mise à la charge de l’Etat et des organismes chargés de les mettre en œuvre au quotidien, constituait, vis-à-vis de ces enfants, une obligation renforcée (TJ Narbonne, 3 février 2022, n° RG 21/01726, Boize c/ Association Afdaim-Adapei 11).
A l’inverse de l’approche adoptée par le juge judiciaire qui place l’intérêt supérieur de l’enfant au centre de sa motivation, le juge administratif reconduit les principes qu’il a posés avec d’autant plus de facilité que son appréciation de la responsabilité de l’Etat est opérée au regard des diligences pouvant être raisonnablement attendues des parents dans la recherche d’une solution adaptée aux besoins de leur enfant, conformément à la décision d’orientation prononcée par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).
Des parents souvent laissés seuls pour assurer la mise en œuvre des décisions de la commission, faute d’accompagnement par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du fait de moyens insuffisants.
Contre toute attente, force est de constater que le Conseil d’Etat ne tire pas les conséquences de l’inaction de l’Etat dans la mise en œuvre de son obligation éducative. Au contraire, dans un arrêt récent, la Haute Juridiction, reconduisant une jurisprudence classique, a considéré que le comportement des représentants légaux de l’enfant était susceptible d’exonérer l’Etat de sa responsabilité.
Quoique le juge ne le consacre pas explicitement, les termes de « faute » et de « négligence » n’étant jamais référencés, c’est bien la logique du régime juridique attaché à la « faute de la victime » qui est à l’œuvre dans ces contentieux. Lorsque le juge considère que les représentants légaux de l’enfant ont contribué à la survenance de la situation de non-scolarisation qu’ils imputent aux services de l’Etat, il le dédouane de sa responsabilité.
La mise en œuvre du droit à la scolarisation repose sur différents principes mis en place par le législateur et appliqués par le juge qui peut, selon les circonstances, libérer l’Etat de sa responsabilité.
Mettant fin à une jurisprudence divergente, le Conseil d’Etat a considéré que l’obligation de scolarisation des enfants en situation de handicap a, pour l’Etat, le caractère d’une obligation de résultat (CE, 8 avril 2009, n° 311434, Laruelle).
Pour être fondés à rechercher la responsabilité de l’Etat, les représentant légaux de l’enfant doivent, au préalable, avoir sollicité une prise en charge médico-sociale de ce dernier(1).
La jurisprudence a depuis longtemps établi que la carence des services de l’Etat à prendre en charge de manière adaptée l’enfant, du fait d’un manque de places disponibles, dans le département de résidence et, à plus forte raison, en France, est de nature à engager sa responsabilité. Une responsabilité également engagée lorsque la prise en charge de l’enfant n’est pas conforme à celle décidée par la CDAPH. Tel est le cas d’un accueil à temps partiel alors que la commission prévoyait un accueil à temps complet.
A contrario, le juge a considéré que la responsabilité de l’Etat n’était pas engagée en raison de la réduction de la quotité hebdomadaire d’heures d’assistance décidée par le directeur des services départementaux de l’Education nationale au motif qu’elle méconnaissait la décision de la CDAPH lorsque celle-ci avait conditionné cette aide aux effectifs d’auxiliaires de vie scolaire disponibles (CAA Lyon, 10 décembre 2020, n° 19LY00172, § 14).
Dans le même sens, dès lors que la commission a prescrit, dans sa décision, l’accompagnement de l’enfant pendant le temps de la restauration scolaire, le refus de l’Etat de lui fournir cet accompagnement constitue une faute de nature à engager sa responsabilité (CAA Nancy, 2 février 2021, n° 18NC03259, § 12).
D’une manière analogue, lorsque l’Etat, sur le fondement d’une décision de la CDAPH d’allouer une aide humaine à l’enfant, recrute une personne pour l’accompagner durant le temps scolaire et, qu’en outre, cet enfant participe au service de restauration scolaire ou à tout ou partie des activités complémentaires ou périscolaires organisées dans l’établissement scolaire, il appartient à l’Etat de déterminer, avec la collectivité territoriale, qui organise ce service et ces activités. Et, le cas échéant, comment cette même personne peut intervenir auprès de l’enfant durant ce service et ces activités, de façon à assurer, dans l’intérêt de l’enfant, la continuité de l’aide qui lui est apportée (CE, 20 novembre 2020, n° 422248, § 10). Le fait de laisser aux seuls représentants légaux de l’enfant le soin de se rapprocher de la commune pour organiser son accompagnement lors des temps d’accueil ou des activités périscolaires est de nature à engager la responsabilité de l’Etat (CAA Nantes, 15 février 2022, n° 20NT03661, § 17, et n° 21NT00696, § 19).
La situation de non-scolarisation d’un enfant en situation de handicap ne suffit pas néanmoins à établir la carence fautive de l’Etat.
Alors que l’existence d’un contentieux régulier portant sur le défaut de scolarisation des enfants en situation de handicap témoigne d’un manquement persistant de l’Etat à son obligation éducative, le Conseil d’Etat a récemment atténué la rigueur de sa jurisprudence en limitant les possibilités d’engagement de la responsabilité de l’Etat (CE, 19 juillet 2022, n° 428311).
En l’espèce, les parents d’un enfant atteint de troubles cognitifs et psychomoteurs et dont le handicap avait été évalué par la MDPH à 80 % avaient vu leur demande en réparation de leurs préjudices propres et de ceux subis par leurs trois enfants rejetée par le tribunal administratif puis par la cour administrative d’appel. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat a annulé les décisions rendues par les juridictions du fond et condamné l’Etat à leur verser une indemnité, d’une part, en leur qualité de représentants légaux de leurs trois enfants et, d’autre part, en réparation de leur préjudice propre.
Pour engager la responsabilité de l’Etat en raison de sa carence fautive dans la mise en œuvre de la prise en charge éducative des enfants en situation de handicap, le Conseil d’Etat est venu préciser sa jurisprudence « Laruelle ». La Haute Juridiction considère désormais qu’il incombe à l’Etat, au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l’égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient un caractère effectif.
L’autorisation administrative étant requise pour toute création, transformation et extension d’un ESMS (CASF, art. L. 313-1-1, I), l’Etat ne peut se prévaloir de l’insuffisance des structures d’accueil existantes pour s’exonérer de sa responsabilité.
Cette jurisprudence s’inscrit à première vue dans un mouvement de renforcement du contrôle du juge sur l’action effective de l’Etat en faveur de la scolarisation des enfants en situation de handicap. La solution rendue en l’espèce ne doit cependant pas faire illusion.
Si le Conseil d’Etat a jugé que l’Etat était responsable du défaut de scolarisation de l’enfant pendant plus de 16 mois, il a, dans le même temps, défini deux limites à sa responsabilité :
• la possibilité pour l’Etat d’exercer une action récursoire contre un ESMS auquel serait imputable une faute de nature à engager sa responsabilité à raison du refus d’accueillir un enfant orienté par la CDAPH ;
• le comportement des représentants légaux de l’enfant.
Le régime juridique attaché à « la faute de la victime » permet à la personne désignée responsable d’un dommage causé de s’exonérer en toute ou partie de la réparation de ce dommage en utilisant le comportement de la victime.
Dans son arrêt du 19 juillet 2022, le Conseil d’Etat a justement considéré que la responsabilité de l’Etat doit toutefois être appréciée en tenant compte, s’il y a lieu, du comportement des responsables légaux de l’enfant, lequel est susceptible de l’exonérer, en tout ou partie, de sa responsabilité. « La faute de la victime » correspond, en l’espèce, à celle constituée par le fait des parents de l’enfant, victimes indirectes du dommage directement subi par leur enfant.
Il appartient aux représentants légaux de l’enfant d’effectuer les démarches nécessaires en vue de sa scolarisation en prenant l’attache des établissements qui leur ont été proposés par la CDAPH. Lorsque ces diligences ne sont pas accomplies, le juge considère que les représentants légaux ont contribué à la situation de non-scolarisation qu’ils reprochent aux services de l’Etat.
La charge de la preuve des démarches effectuées auprès des établissements désignés par la CDAPH pour accueillir l’enfant incombe à ses représentants légaux. Ces derniers doivent soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une carence de l’Etat dans la mise en œuvre des décisions de la commission.
Dans l’arrêt du 19 juillet, la Haute Juridiction relève que si les représentants légaux de l’enfant n’ont pas immédiatement contacté, après chacune des décisions de la CDAPH, l’ensemble des structures vers lesquelles celle-ci avait orienté leur enfant, ils ont :
• saisi, les uns après les autres, les établissements désignés par la commission à titre préférentiel ;
• signalé, dans l’attente d’une réponse favorable de l’un de ces établissements, à de multiples reprises à l’agence régionale de santé et à la MDPH l’urgence que revêtait la scolarisation de leur fils ;
• pris l’attache des services de l’académie pour solliciter l’admission, que la commission avait décidée à titre temporaire, de leur fils en unité localisée pour l’inclusion scolaire (Ulis).
Dans ces conditions, leur comportement n’est pas de nature à exonérer l’Etat de sa responsabilité.
Les diligences accomplies par les représentants légaux de l’enfant sont un élément essentiel d’appréciation par le juge de la carence fautive de l’Etat dans la mise en œuvre des moyens nécessaires à la garantie de l’effectivité des orientations décidées par la CDAPH. La preuve de cette carence peut être rapportée :
• par la justification de documents et des nombreuses démarches accompliesauprès des établissements désignés et des autorités administratives intéressées ;
• pour la première fois à hauteur d’appel, par exemple lorsque les requérants se prévalent de démarches par téléphone pour lesquelles ils ont obtenu des réponses écrites négatives postérieurement au jugement rendu par le tribunal administratif.
Si l’envoi de courriers facilite la démonstration des diligences effectuées, le juge admet cependant que les établissements aient été contactés par téléphone, à charge pour les représentants légaux de l’enfant d’apporter des éléments de nature à établir la réalité de leurs allégations (ex. : fadettes). Le juge a également admis que les requérants se prévalent, en complément de la production de courriers de refus d’accueil, des annotations sur les listes communiquées par la CDAPH et portant mention, pour chaque établissement : de l’envoi d’un courrier demeuré sans réponse (attesté par un courrier de la cheffe du bureau de l’évaluation de l’enfant à la CDAPH), ou d’indications relatives à la date d’un contact téléphonique et du motif précis du refus opposé.
Le juge considère que les représentants légaux de l’enfant peuvent participer à la survenance du dommage. Cette participation peut revêtir différentes manifestations.
Ainsi ont été de nature à dégager l’Etat de sa responsabilité les situation suivantes :
• les représentants légaux de l’enfant ne démontraient pas avoir effectué des démarches auprès de la totalité des 17 établissements désignés par les décisions successives de la CDAPH, mais seulement auprès de 9 d’entre eux (CAA Paris, 17 janvier 2020, n° 18PA00817, précité, § 5) ;
• les représentants légaux de l’enfant n’avaient pas contacté d’autres services que ceux préconisés, alors que les décisions la CDAPH ajoutaient « ou tout autre service du même type » (CAA Nancy, 2 février 2021, n° 18NC03259, précité, § 9) ;
• les troubles comportementaux de l’enfant ;
• l’absence de mise en œuvre des mesures d’accompagnement décidées par la CDAPH, notamment en raison du désaccord entre ses parents sur l’approche à retenir (CAA Nancy, 23 juin 2020, n° 18NC02607).
A contrario, en raison de l’inaction des services de l’aide sociale à l’enfance, il a été jugé que le département avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité. Ces derniers n’avaient demandé au juge des enfants l’autorisation de faire admettre l’enfant dans un service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), malgré l’opposition de sa mère, que 6 mois après la décision de renouvellement du placement, alors qu’il était constant que l’éventualité d’un accord de la mère à la date du jugement était illusoire, compte tenu des positions qu’elle avait prises depuis la décision initiale de placement prononcée 1 an plus tôt, et malgré les demandes réitérées du père. Faisant perdre à l’enfant une chance d’être pris en charge plus tôt et de bénéficier plus rapidement d’une scolarisation à temps complet (CAA Nancy, 23 juin 2020, n° 18NC02608, § 16).
Le refus des parents d’inscrire leur enfant dans un établissement désigné par la CDAPH est également susceptible de les placer dans la situation de déscolarisation qu’ils imputent aux services de l’Etat, que cette décision soit la conséquence de leur préférence pour un établissement en particulier ou la prise en compte du souhait de l’enfant.
Le droit à l’éducation des enfants en situation de handicap bénéficie d’une protection renforcée :
• article 13 du préambule de la Constitution de 1946, concrétisé à l’article L. 112-1 du code de l’éducation ;
• article 2 du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) ;
• articles 2 et 28 de la Convention internationale des droits de l’enfant (Cide) ;
• articles 7 et 24 de la Convention internationale des droits des personnes handicapées (CIDPH).
Les conventions internationales, et spécialement les conventions onusiennes, sont peu invoquées devant le juge administratif, pourtant garant du respect des engagements internationaux de la France. Si certaines stipulations requièrent l’intervention d’actes complémentaires pour produire des effets à l’égard des particuliers et ne peuvent être utilement invoquées à l’appui d’un recours indemnitaire, lorsque les dispositions conventionnelles sont considérées comme ne produisant pas d’effet direct, il appartient a minima au juge national d’interpréter les normes de droit interne à la lumière de ces conventions afin d’atteindre, dans toute la mesure du possible, le but recherché par ces textes.
En vertu de l’article 3, alinéa 1, de la Cide, toute décision concernant un enfant doit tenir pleinement compte de l’intérêt supérieur de celui-ci. Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale vise à assurer le bien-être et l’épanouissement de ce dernier. Il implique une approche individualisée de chaque situation. Il ne saurait être correctement appliqué si les prescriptions de l’article 12 de la Cide concernant le droit de l’enfant d’être entendu ne sont pas respectées(1).
Le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale est cependant absent de la jurisprudence administrative concernant les recours relatifs aux situations de non-scolarisation d’enfants en situation de handicap, alors même que le Conseil constitutionnel a consacré une exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (C. const., 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC).
La requérante ne produisant qu’une lettre de refus d’accueil fondé sur l’absence de place dans la classe d’âge de l’enfant, tandis que l’inscription dans les autres établissements proposés n’avait fait l’objet d’aucune démarche ou a été refusée par la mère de l’enfant, celle-ci s’opposant à la solution de l’internat en faisant valoir le souhait de son enfant de rester au domicile familial et son hyper-sélectivité alimentaire, l’Etat ne pouvait, dans ces conditions, être tenu pour responsable de l’absence ou du caractère insuffisant de la prise en charge de l’enfant, sans que la requérante puisse se prévaloir de la méconnaissance de son droit au libre choix de son praticien et de son établissement de santé, ni de la méconnaissance de l’article 19 (autonomie de vie et inclusion dans la société) de la CIDPH, de l’article 8 de la CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) et de l’article 9 de la Cide (séparation d’avec les parents) (CAA Douai, 21 septembre 2021, n° 19DA01758, § 8).
De façon singulière, compte tenu de l’importance des droits invoqués, le juge en a écarté l’application sans motiver sa décision. Ce procédé est contraire au droit de l’enfant de voir ses opinions, en l’espèce exprimées par ses représentants légaux agissant en son nom, dûment prises en considération. Le comité des droits de l’enfant, organe chargé de la surveillance de la mise en œuvre de la Cide, considère en effet qu’un retour d’information sur le poids donné à l’opinion de l’enfant doit être effectué par le décideur à l’issue du processus(2). Surtout, il tend à faire oublier que la cause de la situation de non-scolarisation subie par l’enfant provient de l’insuffisance des moyens alloués par l’Etat en faveur de la prise en charge éducative des enfants en situation de handicap.
Cette opération est rendue possible par la réduction des situations sociales à de simples rapports juridiques. Or, en retenant le comportement des représentants légaux de l’enfant comme cause exonératoire de la responsabilité de l’Etat, le juge prive l’enfant de son droit à la réparation de ses préjudices, sauf pour celui-ci à agir contre ses parents sur le fondement du jugement exonérant l’Etat de sa responsabilité. Une telle hypothèse apparaît aussi peu réaliste que souhaitable.
(1) Cette responsabilité ne peut être engagée pour les périodes antérieures à cette demande (CAA Versailles, 30 septembre 2021, n° 19VE0140).
(1) Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 14 [2013] sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale [art. 3, al. 1], 29 mai 2013, CRC/C/GC/14.
(2) Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 12 [2009] sur droit de l’enfant d’être entendu, 20 juill. 2009, CRC/C/GC/12, § 45.