Arthur attend. Il attend l’appel et la place. Mais il n’y a pas de place à l’IME, et il est si loin sur la liste. En attendant, il court partout et tout le temps, à pied, en taxi, en car, en voiture. Orthophoniste, école, kiné, CPEA, psychomotricien… Il est habitué, Arthur, ça fait des années que ça dure.
Sofiane attend. Il attend l’appel et la suite. La limite d’âge est atteinte depuis bien longtemps, l’amendement « Creton » a fait son œuvre, mais la liste d’attente est si longue pour le foyer de vie. Il fait partie des anciens de l’IME, ceux qui ont partagé sa chambre et sa vie sont tous partis vers d’autres ESMS. Il voit arriver les petits jeunes, et partir les plus âgés, mais lui, il reste. Et il s’ennuie.
Loïc attend. Il attend l’appel et la chambre. A l’Esat, ce n’est plus possible, il ne parvient plus à suivre le rythme. Et ici, c’est de plus en plus difficile. Il sait bien qu’il lui faut partir, vers un ailleurs plus adapté.
« Un FAM, ce serait l’idéal pour vous », lui a expliqué l’assistante sociale. Mais il y a tant de demandes et si peu de places.
Abdel attend. Il attend l’appel et le lit. L’équipe soignante a évalué son GIR, il est le prochain pour l’Ehpad. L’éducatrice lui a expliqué qu’à son âge, la maison de retraite, ce serait mieux, il pourrait y retrouver quelques-uns de ses amis, les activités seraient plus adaptées, le personnel plus disponible. Mais il n’est pas dupe, Abdel, il a bien compris qu’il fallait libérer la place pour un plus jeune et plus vaillant que lui.
Simone attend. Elle attend l’appel et la fin. Elle ne quitte plus son lit depuis longtemps, elle est bien trop faible et douloureuse. Elle glisse tout doucement, les soignants vont et viennent autour d’elle en chuchotant que, quand même, elle serait mieux à l’USLD, non ? Elle les regarde et les écoute à peine, elle est si lasse de cette chambre, de ce lit, de tout.
Gilbert attend. Il n’attend plus rien de la vie. Il n’a fait que cela toute sa vie, Gilbert. Attendre une place, une chambre, un lit. Attendre qu’un autre cède la place pour s’y glisser promptement. Attendre encore et encore, encore et toujours. Et attendre la fin, enfin.
Arthur attend la place de Sofiane, qui attend la place de Loïc, qui attend la place d’Abdel, qui attend la place de Simone, qui attend la place de Gilbert, qui n’attend plus rien. Et de maison en IME, d’IME en foyer, de foyer en FAM, de FAM en Ehpad et d’Ehpad en USLD, c’est la valse trop lente des lits qui se libèrent, au gré des flux et des reflux, marées incessantes qui charrient les vies et les lits.
Dans son bureau, le maire est bien embêté. Le petit cimetière communal est plein à craquer, et il devient compliqué d’attribuer de nouvelles concessions. Il faudra pourtant bien trouver une solution pour la dizaine de demandes en attente, parce que c’est bien beau de construire un Ehpad pour redonner de la vie au bourg, mais si on ne peut même plus mourir tranquillement… Plongé dans ses pensées, il lui faut un petit moment pour réaliser que sa femme se tient sur le pas de la porte. « On a enfin une place pour Arthur. C’est une bonne nouvelle, non ? »