7 heures – Amélie n’est pas là. J’ai beau arpenter le couloir, la chercher, l’appeler : personne. Ses affaires ne sont pas dans le vestiaire, sa voiture n’est pas sur le parking et elle ne répond pas au téléphone. Je compte et recompte les collègues aides-soignants en salle de transmissions. Un, deux, trois… Il en manque trois. Sofiane est en formation et Odile en dépression. Un absent, on gère. On accélère le pas, on reporte une ou deux douches et on écourte la pause. Deux absents, on gère encore. On accélère sur les toilettes, on reporte l’animation et on supprime la pause. Trois absents, on ne gère pas. A moins de servir le petit-déjeuner sur les toilettes tout en refaisant le lit.
8 heures – L’infirmière est débordée. Il y a les médicaments, deux prélèvements à faire et cinq pansements à refaire. Et si elle a le temps, ça serait bien qu’elle fasse quelques toilettes. Parce qu’Amélie n’est pas là.
9 heures – La cadre n’est pas là. C’était prévu, elle est en réunion sur la qualité de vie au travail. Apprendre à gérer le stress, ou quelque chose du genre. A son retour, elle nous parlera des lunettes connectées qui font s’évader, musique douce et paysages de rêve dans lesquels nous n’irons jamais. Voyage immobile pour soignants trop pressés. Si seulement Amélie était là, elle lui aurait dit à la cadre que nous n’avons pas besoin de tous ces trucs modernes censés nous détendre. On a besoin de bras, pas de lunettes ! Mais Amélie n’est pas là.
10 heures – Le directeur n’est pas là. Il est à un truc de directeurs, un colloque ou un congrès. Il parle avec d’autres directeurs : trop d’absentéisme, d’accidents, de burn-out, de démissions. Les soignants vont et viennent, s’en vont et ne reviennent pas. Les temps sont moroses, le métier n’attire plus, il faudrait un grand plan ou une grande loi pour le grand âge. Ils en parlent entre eux, le directeur de l’Ehpad Truc et la directrice de la résidence Bidule, la rumeur dit que l’un d’eux aurait entendu de la bouche d’un conseiller du ministre qu’il y avait quelque chose en préparation, une concertation, ou un rapport, d’ici quelques mois, l’an prochain peut-être, si tout va bien. Ils sont dépités, parce que les rapports, les concertations, les projets, ça fait dix ans qu’on en parle, et c’est toujours pour demain, ou bientôt, ou prochainement…
En attendant, il manque de personnel, et Amélie qui n’est toujours pas là.
11 heures – L’infirmière n’est plus trop là. Un faux mouvement, et crac, la course aux soins, aux toilettes et à plein de choses est finie. Un absent, puis deux, puis trois, puis… ? Il faudrait trouver quelqu’un, là, tout de suite, mais la cadre n’est pas encore arrivée, le directeur est occupé et nous sommes débordés. L’infirmière a mal, nous sommes en retard et Amélie n’est pas là.
14 heures – On a fait comme on a pu, et tout le monde a survécu. La cadre est revenue et le directeur a appelé, Amélie sera remplacée et l’infirmière va se reposer. Machinalement, je compte les collègues en salle de transmissions. Un, deux, trois… Le compte n’y est pas. Guillaume n’est pas là.