En choisissant de parler de « culture de l’inceste », comme les féministes des années 1970 parlaient de « culture du viol », cet ouvrage résolument militant cherche à susciter une prise de conscience collective et politisée pour affronter ce « trauma collectif ». Alors qu’une personne sur dix affirme avoir été victime de violences sexuelles durant son enfance (dont 80 % des cas au sein de la sphère familiale), selon un sondage Ipsos réalisé en novembre 2020, le problème de l’inceste, « s’il est tabou de le dire, mais certainement pas de le faire », ne peut plus être éludé. Sous la direction d’Iris Brey, spécialiste de la question du genre et de ses représentations, et de Juliet Drouar, chercheur sur les questions de domination de genre et d’âge, l’ouvrage décortique la mécanique de l’acte incestueux et donne à voir son ampleur sociétale, à travers le prisme personnel et professionnel de chacun des auteures des six chapitres (une ethnologue, une anthropologue, une philosophe, une réalisatrice…). Obsédé par la question du « pourquoi » et irrigué par des travaux de recherche scientifique pluridisciplinaires, il souligne avec force « la banalité du mal », pour reprendre l’expression d’Hannah Arendt, et propose des pistes d’analyse en termes culturels et structurels. En déplaçant la question de l’inceste du champ de l’intime à la sphère publique, les auteures ambitionnent de lui donner un cadre théorique, notamment en soulignant son intrication avec les rapports de domination qui existent entre adultes et mineurs, hommes et femmes, etc. L’ouvrage est traversé par son propre traumatisme : le suicide fin 2021, alors qu’il est en cours d’élaboration, de Tal Piterbraut-Merx, auteure du troisième chapitre sur les rapports de pouvoir adultes-enfants, elle-même victime d’inceste. Il se clôt par un texte de science-fiction rédigé collectivement sous la direction de Wendy Delorme, écrivaine et performeuse, qui se demande : « A quoi ressemblerait une société où l’inceste n’existerait pas ? »
« La culture de l’inceste » – Sous la direction d’Iris Brey et de Juliet Drouar – Ed. Seuil, 20 €.