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« On surestime toujours l’attractivité de la France »

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Spécialiste des migrations, François Héran met en perspective l’accueil que la France a réservé aux déplacés ukrainiens depuis le début de la crise. Une mobilisation, certes, inédite, notamment par rapport aux épisodes de migrations syriennes et afghanes, mais assez relative au vu de sa position au sein de l’Europe.
« La France prendra sa part », avait déclaré Emmanuel Macron au début de la crise ukrainienne. L’a-t-elle prise ?

Actuellement, l’Union européenne a délivré 3,7 millions de protections temporaires aux déplacés ukrainiens. La France, pour sa part, en a accordé près de 100 000, soit 2,7 %. A-t-elle pris sa part si l’on rapporte ce chiffre à sa population et à sa richesse ? Pour des raisons évidentes, beaucoup d’Ukrainiens déplacés en Europe ont rejoint des pays limitrophes. Il peut donc être pertinent de comparer notre effort avec celui des pays non voisins, qui ont accordé 2,9 millions de protections temporaires. La France représente alors 14 % de cette population et 15 % de son PIB. Pour prendre sa part des pays non limitrophes, elle aurait donc dû accueillir 400 000 à 440 000 Ukrainiens. Un effort donc tout relatif. En comparaison, l’Allemagne a accueilli 915 000 Ukrainiens, soit presque dix fois plus que nous. Alors qu’elle compte seulement un quart d’habitants en plus.

Pourquoi de tels écarts ?

On surestime toujours l’attractivité de la France. Mais nous ne le sommes pas vraiment, eu égard notamment de l’Allemagne, qui occupe une position considérable au centre de l’Europe. Elle est plus prospère, plus proche de l’Ukraine, plus anglophone que la France. Avant la guerre, elle comptait aussi beaucoup d’Ukrainiens sur son sol : 149 000, selon Eurostat. A contrario, les diasporas ukrainiennes sont peu présentes en France (24 700 Ukrainiens). Face à un centre de l’Europe saturé, les nouveaux pays d’émigration comme l’Ukraine ont choisi les nouveaux pays d’immigration, à l’extrémité sud de l’Europe, ouverts tardivement à l’accueil des migrants : l’Italie (236 000 Ukrainiens), l’Espagne (112 000). De ce point de vue, la France constitue davantage un pays de transit que d’accueil temporaire.

Comment situer cet accueil par rapport aux grandes migrations de ces dernières années ?

De 2014 à 2020, selon les chiffres d’Eurostat, l’Union européenne a accueilli 1,140 million de déplacés syriens, soit 17 % de l’ensemble des personnes qui ont fui le pays. La grande majorité ayant rejoint les Etats limitrophes : d’abord la Turquie, puis le Liban, la Jordanie. Comment cette population s’est-elle répartie en Europe pendant ces sept années ? L’Allemagne a accueilli 633 000 demandeurs d’asile, soit 56 % des Syriens entrés dans l’Union européenne ; la France, 25 200, soit 2 %, alors qu’elle représente entre 15 et 16 % de la population européenne.

Et par rapport aux déplacés afghans ?

Notre effort a été plus important que pour les Syriens. Sur cette même période de 2014 à 2020, la France a accueilli 49 200 Afghans, soit 8 % de ceux qui sont venus en Europe, contre 36 % pour l’Allemagne. Au moment de la prise de Kaboul par les talibans en août 2021, le centre de crise du ministère des Affaires étrangères comptabilisait 10 000 demandes d’évacuation enregistrées sur recommandations de personnalités. Seules 1 600 personnes ont été évacuées en avion, les autres sont restées en attente. L’ambassade de France à Kaboul s’étant repliée à Paris, ce sont les ambassades de Karachi, au Pakistan, et de Téhéran, en Iran, qui ont traité les demandes, malgré les difficultés de franchir les frontières surveillées par les talibans. Les délais ont été très longs, en raison d’effectifs très faibles – une politique migratoire se juge aussi à l’aune des moyens mis à la disposition des centres consulaires. Dès lors, certains optent pour un cheminement illégal, comment l’ont fait des familles entières que l’on retrouve à la frontière franco-italienne.

A quoi ces différences de flux migratoires tiennent-elles ?

Les politiques migratoires sont très dissuasives. Mais les choix des migrants tiennent aussi à leurs préférences et à l’attractivité du pays. Les Syriens n’ont pas d’attachement fort pour la France, qui a laissé des mauvais souvenirs lors de son mandat pendant l’entre-deux-guerres. Certes, en 2015, le président Hollande n’a pas fait de belles déclarations comme la chancelière allemande. Mais on oublie que lorsque Angela Merkel fait sa déclaration, en août, 400 000 demandeurs d’asile syriens sont déjà enregistrés. Elle n’a donc pas ouvert les vannes, comme beaucoup l’ont dit : elle a légitimé un mouvement en l’accompagnant, à un moment où, on l’apprendra plus tard, des membres de son gouvernement ont voulu construire un mur à la frontière est de l’Allemagne. Les Afghans, eux, n’ont pas bonne réputation en France, et on l’entend dans les discours de certains responsables. Mais le fait que beaucoup aient travaillé pour l’armée française a fini par les décider de faire un effort plus important. La France ne voulait pas créer de nouveaux harkis.

Cette fois, la France s’est particulièrement mobilisée…

Oui, au-delà du nombre relatif de personnes accueillies, un réel dispositif d’accueil a été mis en place, avec une mobilisation dans les préfectures de tout un réseau d’associations et des efforts significatifs sur l’hébergement et le logement. Le ministère de l’Intérieur a apporté des informations très claires, en ukrainien, sur son site. Cela montre clairement que quand on veut, on peut. Un effort important a notamment été fait par l’Education nationale pour accueillir les enfants. La France compte 12,3 millions d’élèves du primaire au lycée. Elle a accueilli 19 000 Ukrainiens. Ce n’est donc pas du tout une « invasion ». Mais ils représentent une fraction importante des allophones nouvellement arrivés – 68 000 en 2020, selon une enquête du ministère. Et si l’on considère qu’en plus des heures de classe normales ils bénéficient d’heures d’apprentissage de la langue, l’effort de l’Education nationale s’avère important.

Cette mobilisation est-elle inédite ?

Elle est comparable à l’époque des boat-people, dans les années 1970. Ces personnes ont erré pendant des semaines. Mais une fois leur demande acceptée, l’Etat français a payé des billets d’avion pour les faire venir à Paris. Ils ont eu accès à des logements sociaux, à des formations. De 1974 à 1979, près de 70 000 personnes ont ainsi été accueillies en France, alors qu’on venait tout juste, en 1974, de stopper l’immigration de travail.

La crise ukrainienne peut-elle infléchir la politique migratoire française ?

Non, il s’agit d’une exception. Le projet de réforme [qui doit faire l’objet d’un grand débat à l’Assemblée nationale et au Sénat à l’automne avant d’être présenté, ndlr] s’oriente plutôt vers un durcissement des règles. Les taux de reconduite à la frontière sont très bas : environ 15 % ces dernières années. Cette réforme entend mettre en pratique les obligations de quitter le territoire français (OQTF) et de limiter les contentieux des étrangers, qui représentent la moitié des contentieux administratifs en France.

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