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L’hébergement citoyen, compatible avec l’urgence ?

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L’hébergement citoyen a connu un test grandeur nature à l’occasion de l’accueil de personnes déplacées d’Ukraine. Pour beaucoup d’associations, son encadrement s’est révélé inédit, introduisant de nouvelles pratiques. Pour autant, l’intérêt de ce dispositif divise, dans un contexte d’urgence.

Quelques jours après les débuts de l’invasion russe en Ukraine, quand l’association Anef 63 s’est manifestée auprès des autorités pour organiser l’accueil de personnes déplacées dans le département de l’Allier, son directeur général, Gilles Loubier, n’imaginait pas sa nouvelle mission. Désignée comme association référente, sa structure a commencé à recevoir les appels de particuliers proposant d’accueillir des Ukrainiens. L’association a elle-même amplifié ce mouvement en organisant des réunions publiques. L’hébergement chez les particuliers démarre en avril, après deux à trois semaines en accueil d’urgence, le temps d’accomplir les premières démarches administratives. Une expérience « globalement positive ». « Avec le recul, l’hébergement citoyen s’est révélé indispensable, car nous n’avions pas les moyens d’avoir des centaines de places simultanées », souligne le dirigeant.

L’anticipation d’un très haut afflux de déplacés dès les premiers jours de la guerre a imposé l’accueil chez les particuliers comme une solution de recours officielle pour l’Etat. Selon le gouvernement, 15 000 Ukrainiens ont été accueillis dans des dispositifs « certifiés », c’est-à-dire suivis par les associations, et 11 000 autres de manière « spontanée », hors des radars. Le besoin d’hébergement citoyen s’est fait sentir en particulier dans les territoires où les dispositifs d’urgence étaient les plus saturés, comme dans les Alpes-Maritimes. « Le directeur adjoint de la Ddets [Direction départementale de l’emploi, du travail et des solidarités] m’appelle un soir pour me dire qu’il y avait un besoin sur l’hébergement citoyen. On a eu une liste de logements proposés par les propriétaires », relate Caroline Roman, responsable du service social de Soliha. Les associations se sont chargées alors de la sélection des hébergeurs privés, puis de l’accompagnement social et administratif des familles ou personnes déplacées ukrainiennes. L’Anef 63 a recueilli quelque 200 propositions pour en labelliser 157. Au final, en cumulé depuis mars, une cinquantaine d’hébergeurs privés ont accueilli des familles. « On a rencontré toutes les personnes proposant un hébergement », précise Gilles Loubier.

Ruptures dans l’hébergement

Les associations chargées de l’hébergement soulignent en particulier une nouveauté : cette position de tiers entre les ressortissants ukrainiens et leurs hôtes. « Il a fallu les intégrer dans la relation tout en sachant mettre des limites à leur intervention, souligne Caroline Roman. Il y avait de leur côté un besoin d’implication. Les propriétaires se sont mis à disposition de ces familles pour les aider à trouver des cours de français ou pour prendre les transports. Mais il fallait les freiner sur les démarches administratives. » Alors que les intervenants sociaux se concentrent en particulier sur les aspects administratifs pour soulager les accueillants, « les familles ont pu accompagner les démarches de soins en sollicitant leur propre médecin généraliste ou pour les ouvertures de comptes en banque », rapporte Virginie Riels-Royer, coordinatrice de la cellule Ukraine à l’Anef 63. Autrefois rétive à l’hébergement citoyen, France terre d’asile, qui s’est chargée de l’accompagnement social de familles accueillies à Paris et dans les Hauts-de-Seine, y voit un impact positif. « On voit un énorme avantage en matière d’intégration, remarque Hélène Soupios-David, directrice du plaidoyer de l’association. Les familles sont très investies et peuvent mobiliser leurs réseaux locaux pour aider par exemple à retrouver un emploi. Notre travail en est facilité. »

Et pourtant, les associations sont loin de conclure à un remède miracle. Les relations avec les hébergeurs sont parfois tendues. « Recevoir les personnes sans les familles d’accueil a pu être très mal compris », témoigne Florence Fanelli-Faure, directrice du CHRS Le Phare dépendant de l’Armée du salut, au Havre (Seine-Maritime). La responsable constate également des sollicitations multiples excédant parfois le cahier des charges de l’association. Il a fallu aussi gérer les ruptures, parfois soudaines et précipitées, quelques jours après le début de l’hébergement. « Certaines familles étaient en difficulté, n’ayant pas les mêmes façons de vivre. Elles se sont senties envahies. D’autres attendaient davantage de reconnaissance de la part des familles ukrainiennes », analyse Virginie Riels-Royer, de l’Anef 63. « Les personnes déplacées peuvent aller mal, ce ne sont pas toujours de joyeux convives avec qui il sera possible d’avoir des discussions à bâtons rompus sur la culture », abonde Florence Fanelli-Faure.

En accord avec le milieu associatif, l’Etat a fini par engager la bascule de ces publics vers du logement durable. A l’Anef 63 comme pour Soliha dans les Alpes-Maritimes, l’intermédiation locative a été mobilisée. A un détail près : dans ce dernier département, elle est conditionnée à un emploi. A défaut de cette ressource, les familles sont orientées dans le « hub »(1) à Nice. L’hébergement citoyen hors du département peut être alors proposé, dans des zones moins tendues où les propriétaires pourraient être davantage enclins à mettre leur appartement à disposition. Connaissant la date de fin de leur hébergement initial, les familles sont préparées à ce « desserrement hors département », selon le jargon de l’administration. Cependant, « on les remet dans une insécurité », reconnaît Caroline Roman. C’est d’autant moins anodin que le profil des déplacés ukrainiens, en majorité des femmes seules avec enfants, diffère des populations réfugiées habituelles auprès desquelles l’accueil citoyen est pratiqué.

Un dispositif trop « complexe »

Cette durée limitée d’accueil est pourtant l’une des conditions pour que l’hébergement citoyen puisse fonctionner. Les associations déjà rompues à cette pratique, comme JRS France, recommandent en effet une durée d’accueil maximale de quatre à six semaines, bien inférieure aux périodes parfois pratiquées dans le contexte actuel ainsi qu’à la recommandation de trois mois des pouvoirs publics. « Cela permet de susciter de vraies rencontres sans créer un lien de dépendance, dans la mesure où la fin du séjour est clairement identifiée. On sait que ce modèle fonctionne et que les familles se réengagent », explique son directeur, Guillaume Rossignol, qui a organisé 20 hébergements citoyens à Paris. Cela suppose aussi d’organiser le passage de relais entre familles hébergeantes – et donc d’en avoir suffisamment – lorsque la prise en charge dure plusieurs mois, comme c’est le cas pour les demandeurs d’asile. Pour les déplacés ukrainiens, JRS France a toutefois adapté son dispositif pour en rallonger la durée, mais en privilégiant les hébergements en milieu « autonome ». Là où, à l’origine, les cohabitations sont au cœur de son modèle, afin de susciter des liens entre hébergeurs et hébergés.

L’hébergement citoyen constitue-t-il une réponse adaptée à des contextes d’urgence ? Six mois après, c’est la question qu’est amené à se poser JRS France. « Sous le sceau de l’urgence, des personnes en ont hébergé d’autres sans se poser trop de questions, et les durées initiales sur lesquelles elles s’étaient engagées ont été prolongées. Or l’hébergement citoyen suppose un travail de discernement des deux parties », remarque Guillaume Rossignol. A cette question s’ajoutent aussi l’engouement passager pour la cause ainsi que l’indisponibilité des logements des particuliers, qui ne colle pas avec l’évolution des besoins sur la durée.

Caroline Roman ne recense qu’une poignée de nouvelles propositions citoyennes en cette fin d’été. « Je pense que l’élan s’est éteint de manière définitive, car on parle moins de la guerre en Ukraine et il n’y a pas de communication à grande échelle sur l’hébergement des Ukrainiens », conclut-elle. Du côté des personnes déplacées, on note parfois un faible intérêt. « On a essayé de le promouvoir et cela n’a pas du tout été concluant. Il n’y a pas forcément d’adéquation entre les souhaits et les propositions », reconnaît Florence Fanelli-Faure. Si la directrice salue une « expérience inté­ressante », celle-ci demeure, selon elle, « trop complexe par rapport aux ressources et à la réactivité attendue ».

L’aide de 150 € confirmée

La Dihal travaille à la mise en œuvre d’une aide mensuelle pour les hébergeants citoyens. Objectif : éviter un essoufflement de cette modalité d’hébergement, en pleine crise du logement. D’un montant d’environ 150 €, elle devrait, selon une source proche du dossier, être accordée à partir de la fin octobre. Pour Djamel Cheridi, directeur de territoires à Aurore et référent métier « urgence et hébergement », cette aide est « essentielle […], compte tenu de l’allongement de la durée d’accueil ». « Certaines familles accueillantes ont le sentiment que leur engagement n’a pas été suffisamment reconnu par l’Etat, conclut-il. En faisant un don à une association, elles en auraient retiré un avantage fiscal. »

Notes

(1) Les déplacés sont accueillis, enregistrés et hébergés avant d’être dispatchés dans les départements de la région Paca.

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