La valse des lits

Cellule de crise lors des transmissions de l’après-midi. L’établissement accueille dès demain une certaine M^me Mimosa, presque veuve et sans enfant. Presque veuve, ça veut dire que son mari est hospitalisé, en fin de vie, et que la dame ne peut plus rester seule chez elle. Il faut trouver une place, vite. L’assistante sociale de l’hôpital a fait le tour des Ehpad, et nous sommes sa dernière chance. Miracle, nous avons justement une chambre libre. La liste d’attente est longue comme un jour sans pain ni brioche, mais la situation est grave et urgente, M^me Mimosa passera en priorité.

Tout le monde pense et parle en même temps.

« La seule place qu’on a, c’est au deuxième », soupire Adèle. Oui, mais c’est le service des résidents déambulants, et cette dame n’a pas le profil. « Justement, M. Tilleul, au premier, est de plus en plus agressif lors des soins. Il faut y aller à deux pour la toilette, ça devient compliqué. Il pourrait monter au deuxième, non ? Comme ça, on récupère son lit pour la dame », suggère Manon. M. Tilleul au deuxième ? Hors de question ! Avec les résidents vulnérables, ça va pas du tout le faire ! De toute façon, ce monsieur est en chambre double, donc il faut obligatoirement le remplacer par un homme.

Mais si on déplace M. Muguet, qui est en chambre simple, pour l’installer avec… euh… c’est qui, au fait, en chambre 106 ? Ah oui, M. Sapin, du coup, on récupère la 104 et M^me Mimosa peut s’y installer. « Mais vous n’y pensez pas ! », s’emporte Adrien, M. Muguet a beaucoup d’affaires, ça fait des années qu’il est là. En plus, il a le sommeil léger et M. Sapin ronfle très fort.

Retour à la case départ.

« Et au troisième, c’est pas possible ? », demande innocemment Aya. Avec les fins de vie ? Non, tout le monde va à peu près bien, pas de place.

Au premier, il y a M^me Rose, qui glisse doucement, elle serait mieux au troisième, c’est plus cocooning, mais il faut descendre quelqu’un. « Euh, c’est un peu radical, non ? », ironise Solène. Regard noir de la cadre, c’est pas le moment de plaisanter.

Mais au fait, elle est comment, cette M^me Mimosa ? L’infirmière relit ses notes : GIR 2 et NPI(1) inconnu, ça relève du troisième, ça. « Mais elle n’est pas en fin de vie ! », proteste la cadre, il lui faut une place au premier. Et si nous reparlions de M. Tilleul ?

Bon, on récapitule. On monte M. Tilleul au deuxième, ça libère un lit dans la 106, on y installe un résident du troisième, ça libère une chambre pour M^me Rose et on installe M^me Mimosa au premier.

D’accord, d’accord… Mais du coup, qui descend ? Aya réfléchit, Manon fronce les sourcils et Adrien fulmine en silence. Et soudain, l’illumination. « Mais au fait, M. Fougère est sourd ! Il peut très bien aller avec M. Sapin », s’exclame Solène, triomphante. Soulagement général. On monte, on descend, on remonte, et tout le monde retrouve un lit.

Jusqu’à la prochaine fois.