J’estime qu’il faut donner la possibilité aux familles de chercher leurs propres solutions. A l’ASE [aide sociale à l’enfance], il arrive fréquemment qu’un enfant soit placé et qu’un proche se manifeste quelques années plus tard, faute d’avoir osé le faire auparavant. Les professionnels se retrouvent bien souvent en difficulté avec des parents qui réclament pendant des mois de voir davantage leur enfant, sans trouver de solutions innovantes. Je pense à une maman en situation de handicap que j’accompagne depuis trois ans dans le cadre du placement de son fils. J’étais un peu bloquée. Je l’imaginais très isolée, en froid avec sa famille, sans vie sociale. Après avoir lancé le processus de conférence familiale, j’ai découvert qu’elle avait des amis, qu’elle était membre d’une association. Pourtant, cette mère ne m’en parlait pas parce qu’elle me voyait uniquement en référence à son garçon. J’apprends toujours quelque chose lorsque j’interroge les familles sur les personnes qu’elles souhaiteraient solliciter au sein de leur entourage. Cela ouvre le champ des possibles. Je pense également à une maman, elle-même accueillie en famille d’accueil étant enfant, qui a cité celle-ci parmi ses personnes de confiance.
Dans mon cas, il s’agit réellement d’un cheminement. Le travail le plus important a été sur moi-même. Après ma formation d’éducatrice, j’avais le sentiment de devoir trouver les solutions moi-même. J’ai dû m’autoriser à penser que je n’avais pas toutes les réponses et à faire confiance aux familles. Je ne peux pas les changer. En revanche, je peux modifier mon regard sur elles. Je l’ai d’abord expérimenté au cours des entretiens en les valorisant beaucoup plus. Leurs visages se transformaient. Je me suis dit qu’il fallait aller plus loin. La conférence familiale est un excellent outil à cet égard. Les familles ne me perçoivent plus comme cette référente qui leur a retiré leur enfant, mais comme quelqu’un les croyant capables d’émettre des propositions. C’est très positif aussi pour les enfants accompagnés qui voient leurs parents chercher des solutions et plusieurs personnes se réunir pour parler d’eux. J’ai l’impression que cette expérience a allégé mon quotidien, en tout cas mentalement.
Au début, j’utilisais des mots beaucoup trop compliqués, et cela ne fonctionnait pas. Désormais, je les présente très simplement en n’employant le terme « conférence familiale » qu’à la fin, au risque sinon de les perdre. Récemment, une maman m’a demandé : « Croyez-vous qu’une “conférence” soit pour quelqu’un comme moi ? » J’ai trouvé cela terrible, à l’image de ce que la société renvoie, à savoir qu’on n’est rien sans un certain niveau social.
Au début, je le pensais. Plus maintenant. Même chez des parents en situation de handicap ou très vulnérables, nous pouvons trouver des ressources. Il suffit parfois d’une personne pour que la situation progresse. Il faut arrêter de se dire qu’avec telle ou telle famille on n’y arrivera pas. Cela ne signifie pas que, demain, les enfants seront tous de retour en famille. Ce n’est pas l’idée. L’objectif est que chacun puisse se sentir le plus à l’aise possible dans la mesure de placement. Aujourd’hui, je propose des conférences à quasiment toutes les familles, hormis celles extrêmement isolées. J’ai réellement inscrit cette disposition dans ma pratique. Deux assistantes familiales ont même été sollicitées par les mamans et ont répondu favorablement. Pour l’une d’entre elles, le thème est : « Comment puis-je être maman auprès de ma fille alors qu’elle ne vit pas avec moi ? » C’était très émouvant. En invitant l’assistante familiale parmi les personnes de confiance, l’enfant sent que son propre parent l’estime, cela l’aide à se construire, à se poser, à limiter un éventuel conflit de loyauté. Les conférences familiales devraient être proposées automatiquement avant chaque placement, à tout moment de doute, afin d’offrir la possibilité aux familles de se mobiliser avec leur entourage.