Son chien sur les talons, Paul, vêtu d’un maillot rouge aux couleurs de Manchester United, arrive dans le salon de Coco, qui l’accueille le sourire aux lèvres. Le garçon a tout juste 20 ans. Pendant les vacances, il séjourne pour quelques jours « en bas » de chez sa grand-mère. En ce mercredi 24 août, Mohamed L’Houssni, directeur de l’association Rétis – qui intervient sur Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) et environs pour « retis-ser » les liens en protection de l’enfance –, rend visite à Coco, qui s’apprête à déménager dans le Sud. « Alors, tu as eu ton bac ? », demande-t-il à Paul lorsqu’il entre dans la pièce. « Oui, je l’ai eu », rétorque celui-ci, l’air de rien. « Et ton permis ? » « J’ai prévu de le passer en accéléré. Là, il faut surtout que je trouve un boulot, pour payer mon nouveau loyer. »
En 2019, Paul était beaucoup moins serein. De même que l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il fuguait régulièrement du foyer où il avait été placé pour se réfugier chez des amis ou chez sa grand-mère. Alors qu’une rencontre devant le juge se préparait, ses éducatrices ont décidé de se tourner vers Rétis afin d’envisager d’autres options. Mohamed L’Houssni, son fondateur, est l’un des principaux formateurs en France des conférences familiales, aux côtés de Francis Alföldi et d’Hélène van Dijk. Tous trois promeuvent la pratique depuis une vingtaine d’années.
Une conférence est alors proposée pour offrir la possibilité à la famille d’établir un plan d’action. Mohamed L’Houssni en devient le coordinateur. Paul accepte immédiatement. Lui ne souhaite qu’une chose : être autorisé à vivre chez sa grand-mère. « Revenir chez mes parents n’était pas possible, au foyer non plus. Si j’y étais retourné, je n’aurais pas été motivé pour travailler, trouver une école. En foyer, tu n’as plus de désirs. Tu as juste envie de te barrer le matin voir tes potes dès que tu peux. Et le soir, t’as pas d’autre choix que d’y rentrer dormir », lâche-t-il.
Pour la première fois, l’entourage de l’adolescent – son père, sa mère, sa grand-mère, son frère, sa petite amie – va être réuni pour répondre à la question : « Où Paul doit-il vivre ? » En contrepartie, sont exigée une évaluation de santé et la poursuite de sa scolarité. Avec, en toile de fond, la volonté de sortir de la spirale négative à laquelle tous les proches sont confrontés depuis plusieurs années face à un jeune en roue libre, entre conflit familial, addictions et petits délits. Un psychologue, un tiers digne de confiance et un spécialiste en addictologie sont également conviés pour fournir des informations à la famille.
Au cours de la préparation, plusieurs questions subsidiaires émergent : comment aider Paul à préparer sa majorité, à gérer sa consommation de cannabis, etc. ? « L’originalité est qu’il s’agit d’une méthodologie qui oblige les travailleurs sociaux à laisser la place, à prénégocier. Un équilibre entre les deux s’établit, avec une conversation intéressante qui aboutit à un plan en commun », précise Mohamed L’Houssni. Et d’ajouter : « La conférence est pour moi une forme de résistance. J’y suis arrivé par nécessité, parce que j’étais en difficulté face à certaines situations. Je me suis dit qu’il fallait pouvoir faire autrement. »
La démarche est bienvenue pour Coco, en position délicate, qui est longtemps restée à distance de l’accompagnement social et des procédures judiciaires. « Je ne voulais pas être en conflit avec ma fille. Elle en a beaucoup souffert. Elle n’arrivait pas à m’en parler, et moi non plus. Elle ne me parlait jamais de Paul. » Des années difficiles durant lesquelles elle a cependant tenu à maintenir un lien avec son petit-fils. « Je savais toujours où il allait. Je le lui avais fait promettre, parce que ce n’était pas possible pour moi de vivre s’il ne me donnait pas de nouvelles », avoue la grand-mère. « Coco était l’actrice centrale, constate Mohamed L’Houssni. La conférence révèle souvent les invisibles, ceux qui ne sont pas les détenteurs de l’autorité parentale, qui n’ont pas le statut, mais qui pacifient, apaisent, relient. Tout passe par là. Je les appelle les “bâtisseurs de liens”. »
10 février 2020, dans un lieu neutre, à Thonon-les-Bains, un petit auditoire écoute attentivement la lecture de la lettre que Paul a écrite, debout face à eux. « Mes peurs en ce moment sont : beaucoup de stress parce que je n’aime pas parler devant les adultes. La peur de voir que tous mes efforts depuis septembre vont se jouer sur une réunion. » Coco lui tient la main, c’est sa « personne soutien ». Des boissons et des canapés ont été préparés soigneusement par l’adolescent et son père. Un moment de convivialité pour retisser des liens disloqués. « Merci d’être venus et d’essayer de me sortir du cercle où j’étais », conclut la lettre. « C’était fort en émotion. On était dans une bulle, se rappelle Coco. Tu nous disais des choses. Ce n’était pas facile pour toi quand on était juste entre nous de venir nous parler comme cela. »
A l’issue d’un temps privé, la famille de Paul fournit sa stratégie, qui sera soutenue par l’ASE et validée par la juge : Paul vivra chez Coco, en qualité de tiers digne de confiance. Celle-ci sera accompagnée par un service de soutien. Elle aidera Paul à retrouver un rythme, à respecter les horaires. Le frère de Paul l’accompagnera au sport chaque semaine et l’aidera pour le réveil du matin. Son père prendra rendez-vous avec un service de soins en addictologie. Sa mère l’aidera pour ses devoirs. Toutes les décisions seront prises en concertation entre les parents et Coco. Ce processus a représenté une réelle légitimation pour la grand-mère : « J’étais plus à l’aise. Tout le monde était d’accord. Je me suis vraiment sentie apaisée », insiste-t-elle. Pour Paul, il s’agissait surtout d’être entendu : « Là, j’ai clairement pu avoir ce que je voulais, ce qui était mieux pour moi. »