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La justice face aux défis du handicap

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L’accès à l’institution judiciaire est l’un des droits fondamentaux de tout citoyen. Pourtant, les personnes en situation de handicap peuvent se retrouver face à des bâtiments difficilement accessibles et à des procédures inadaptées. Pour améliorer la situation, de nombreux professionnels œuvrent à rendre effectives les prescriptions de la loi « handicap » de février 2005.

« Un fiasco total. » Maître David Nabet-Martin, avocat, dresse un bilan catastrophique de l’audience devant le tribunal correctionnel de nombreuses personnes en situation de handicap qui s’est tenue en mars 2021 à Toulouse. Les prévenus, des militants qui avaient manifesté sur les voies de la SNCF et les pistes de l’aéroport Toulouse-Blagnac, n’ont eu droit à aucune adaptation de l’institution judiciaire à leurs difficultés. En particulier, nombre d’entre eux ont dû se séparer de leur assistant de vie pendant toute la durée du procès. Lors de l’audience d’appel, le 30 juin dernier, l’administration a rectifié le tir, au moins en partie.

« Cette fois, ils ont mis une rampe, reconnaît Odile Maurin, prévenue et présidente de l’association Handi-Social. Elle n’est malheureusement que provisoire. La justice se permet de nous juger, alors qu’elle n’a même pas fait valider son Ad-AP [agenda d’accessibilité programmée]. Pourquoi ont-ils installé une rampe ? Parce que l’élévateur à l’entrée du tribunal a été construit en toute illégalité. A la place, il faudrait un ascenseur que nous pourrions utiliser de façon autonome. Par ailleurs, le ministère ne forme pas son personnel : mon autisme, par exemple, n’a pas du tout été pris en compte et je me suis vu reprocher mon manque d’esprit de synthèse… Tout ceci résulte d’un manque patent de volonté politique. »

D’un point de vue complètement extérieur, tous les efforts de l’Etat semblent dirigés sur l’accessibilité bâtimentaire : « Les crédits budgétaires sont concentrés sur ce point puisqu’au ministère de la Justice on a 1 270 sites de réception du public, dont 600 consacrés spécifiquement à la justice judiciaire, expose Marc Salvini, haut fonctionnaire au Service de l’accès au droit et à la justice et de l’aide aux victimes (Sadjav). On a un très gros patrimoine, qui nécessite des moyens financiers et techniques énormes, et c’est beaucoup plus visible budgétairement. » Mais malgré ces efforts, il existe encore des ratés. A commencer, bien sûr, par celui du nouveau palais de Toulouse, qui a ouvert en 2008. « Je sais bien que tout n’est pas parfait, poursuit Marc Salvini. Mais si on peut faire en sorte que les choses se passent bien, on fait tout pour. Notre dynamique, c’est de constamment améliorer les choses, dans un contexte où les citoyens sont très exigeants. »

Bien plus récent, le nouveau palais de justice de Paris, situé porte de Clichy, dans le XVIIe arrondissement, fait beaucoup mieux, mais pose toujours quelques problèmes d’accessibilité, et il n’est pas le seul. « Nombre de palais de justice ont été construits depuis des années et continuent de poser des soucis, constate Florence Neple, avocate et présidente de la commission “égalité” au Conseil national des barreaux. Et ce ne sont pas des bâtiments du XIXe siècle, comme il en existe seulement quelques-uns… » Pour éviter ces ratés, les avocats demandent depuis longtemps à être associés à la démarche des constructions des bâtiments. En association avec l’architecte et les magistrats, les conseils peuvent ainsi faire valoir différents points de vue, dont celui des personnes en situation de handicap.

Le fiasco de Toulouse montre l’étendue du chemin qu’il reste à parcourir sur ce sujet, malgré des obligations légales déjà anciennes : depuis 2005, les textes imposent à la justice d’être accessible. « Il faut que les normes soient respectées, demande David Nabet-Martin. Une société privée doit bien le faire, alors pourquoi pas l’institution judiciaire ? »

Une prise de conscience croissante chez les magistrats et les avocats

La question de l’accessibilité de la justice aux personnes en situation de handicap ne se résume pas aux problématiques architecturales. « Pour les autres formes de handicap, beaucoup de travail reste à accomplir. Mais le ministère de la Justice ne fait pas rien, on travaille sur ces sujets », expose Florence Neple. Le sujet semble prendre de l’ampleur au sein des palais : « J’ai le sentiment que c’est une question qui commence à être prise en compte de manière marquée chez les professionnels de la justice, estime Anne-Sarah Kertudo, directrice de l’association Droit pluriel, qui milite pour un meilleur accès à la justice des personnes en situation de handicap. Nous sommes très soutenus par les magistrats, les avocats et les commissaires de justice. Ce sont vraiment les trois professions qui nous soutiennent très activement. Elles nous demandent beaucoup d’expertise, de conseils et de formations sur le développement de leur métier, sur les manières de faire, d’accueillir, etc. »

Le ciel s’éclaircit notamment pour les personnes sourdes. « Nous avons bien avancé sur le sujet de la langue des signes, reconnaît Anne-Sarah Kertudo. Les textes imposent qu’un interprète langue des signes soit présent quand un sourd est en audience. Tous les professionnels de la justice savent que cela existe. Ils ne sont pas face à un ovni, comme c’était le cas au début. Aujourd’hui, ce problème est bien identifié et on sait comment y répondre. »

Mais la perfection, ici encore, est loin d’être atteinte : « D’autres problèmes se greffent, poursuit Anne-Sarah Kertudo. Les interprètes en langue des signes sont maintenant en concurrence avec des gens qui ne sont pas professionnels, pas diplômés, qui connaissent trois signes et qui se disent interprètes. » De plus, à l’audience, les avocats doivent parfois faire avec les moyens du bord, et parfois même utiliser les compétences de la partie adverse : « Dans un dossier à l’amiable, raconte Florence Neple, l’interprète en langue des signes qui était convoqué n’est jamais venu à l’audience. L’avocat adverse, qui – une chance – savait signer, a dû traduire pour ma cliente. C’est beaucoup de débrouille, de bricolage. »

Les SAUJ, guichets uniques pour tous les justiciables

Assistants, greffiers ou magistrats, les professionnels de la justice font de leur mieux avec les moyens dont ils disposent. « Sur le plan professionnel, c’est difficile pour eux, constate Florence Neple. Quand on a une personne en situation de handicap en face de soi, on a besoin d’un temps supplémentaire. Malheureusement, les magistrats n’ont déjà pas le temps nécessaire à consacrer aux justiciables non handicapés. » Un manque de moyens chronique constamment dénoncé, qui ne permet pas au service public de la justice de prendre en charge toute seule chaque cas particulier.

Marc Salvini, du Sadjav, invite les justiciables à signaler toute difficulté : « Pour tous les procès, on a la nécessité d’anticiper. Les personnes doivent se rendre au service de l’accueil unique du justiciable (SAUJ), un guichet qui existe dans chaque palais de justice. C’est là qu’il faut indiquer les difficultés ou son handicap. Et ce, même s’il n’y a pas de reconnaissance officielle. Il ne faut pas s’imaginer que, dans la masse des dossiers qu’il a à traiter, le juge va se poser toutes les questions de lui-même. C’est pourquoi il faut se signaler. »

Dans les procédures qui nécessitent leur présence, les avocats peuvent jouer un rôle crucial : « Nous pouvons identifier les difficultés et être l’intermédiaire, explique Florence Neple. L’avocat expose au magistrat le handicap de son client et ses difficultés. Mais quand une personne est seule et sans conseil, c’est effectivement plus compliqué. » L’avocate se souvient notamment d’une audience en droit de la famille lors de laquelle un intervenant conseil s’est aperçu que la personne en face, non assistée d’un avocat, était en situation de handicap : « On se retrouve alors dans une situation complexe, à devoir pallier les difficultés ou à intercéder face aux magistrats, alors que ce n’est pas notre rôle. »

Côté procédure, il est difficile de dire s’il existe des matières plus difficiles d’accès que d’autres. « En tout cas, certaines procédures concernent plus ou moins les personnes en situation de handicap, estime Anne-Sarah Kertudo. Mais celles-ci se mettent elles-mêmes plus de barrières pour certains pans du droit. On sait, par exemple, que quatre femmes en situation de handicap sur cinq sont victimes de violences, mais il s’agit de populations qui ne se défendent pas et sur lesquelles un niveau de domination pèse extrêmement fort. Et, dans le même temps, on observe du côté des personnes non handicapées un mouvement qui tend vers une demande de justice et d’accès au juge. Le contraste est saisissant. »

Si le ministère de la Justice assure ne pas relever de difficulté particulière selon le handicap et que tous sont pris en charge à la même enseigne, l’avis du terrain est quelque peu différent : « En réalité, la majeure partie des situations de handicap sont invisibles, et personne ne s’y adapte, poursuit Anne-Sarah Kertudo. Il existe des troubles d’élocution, des paralysies… et les principaux concernés déplorent qu’on les prenne pour des personnes ayant d’importantes difficultés intellectuelles. » Pour aider les professionnels de la justice à faire la distinction, l’association Droit pluriel a d’ailleurs publié une mallette pédagogique, en lien avec le Défenseur des droits et la chancellerie(1). Des indications que tout citoyen devrait lire : le manque de culture et de connaissances sur le handicap concerne bien la société moderne tout entière.

Légifrance « partiellement conforme » au référentiel d’accessibilité

« Le service public de la diffusion du droit. » Le slogan du site Légifrance est une promesse qui n’est pas respectée pour tout le monde, même si les services de la direction de l’information légale et administrative (Dila) fournissent clairement des efforts.

En date du 4 mars 2020, l’avant-dernier audit avait conclu à une conformité du site de 56,9 % au regard du référentiel. En novembre 2020, la Dila a publié une version Légifrance complètement nouvelle. Cette mise à jour obtient dorénavant un taux de conformité de 77,6 %. Certains scripts ne sont pas accessibles au lecteur d’écran et à la navigation au clavier : fonctionnalité d’aide ou affichage de certains contenus. Légifrance comprend également son lot de PDF, en particulier pour les circulaires et les instructions, qui ne brillent pas par leur accessibilité. Enfin, le code HTML de certains contenus de textes de lois est obsolète, rendant la consultation difficile pour les personnes déficientes visuelles.

Notes

(1) La consulter via le lien : https://droitpluriel.fr/ mallette-pedagogique.

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