Dessins au crayon graphite, peintures, estampes, les œuvres de Virginie Chapel sont marquées par le souvenir de la journée du 7 janvier 2015. Alors qu’elle travaille comme directrice artistique pour des chaînes de magasins, elle se trouve dans les locaux de son entreprise située au 10, rue Nicolas-Appert, dans le XIe arrondissement de Paris. Aux alentours de 11 h 30, deux hommes, cagoulés, vêtus de noir et armés de fusils d’assaut, surgissent au rez-de-chaussée. Elle est la première à croiser leur route. Mise en joue par les deux agresseurs, tétanisée, elle comprend rapidement qu’ils font erreur. Face à elle, Chérif et Saïd Kouachi. Leur cible ? Le journal satirique Charlie Hebdo, situé à l’étage du dessus. Après avoir tiré au plafond et exigé qu’on leur indique où se trouve la rédaction de l’hebdomadaire, les deux terroristes accèdent à l’étage. Virginie Chapel et ses collègues entendront tout de la tuerie qui s’y déroulera.
Après cet événement, comme pour beaucoup d’autres victimes du terrorisme, le syndrome de stress post-traumatique l’envahit, l’isole et ruine sa vie sociale : « Etre une victime, c’est avoir peur, j’étais obsédée par l’idée de me cacher, sans cesse. Je ne sortais plus. L’hypervigilance entraîne des problèmes physiques et psychiques. » Elle perd son emploi, intègre un hôpital de jour et est suivie par un médecin psychiatre pendant plusieurs années. Sa vie bascule.
Sept ans après les attentats, les arts plastiques sont devenus son exutoire. En 2018, son médecin l’oriente vers ArtAme Gallery(1). Situé dans le XXe arrondissement de Paris, ce groupe d’entraide mutuelle (GEM) s’adresse à des dessinateurs, peintres, sculpteurs, photographes, plasticiens, illustrateurs, vidéastes, fragilisés par un trouble psychique. Ouvert à tous, l’atelier vise à rompre leur isolement et à valoriser leur savoir-faire. Mais pas question d’associer le lieu à de l’art-thérapie. Ici, les artistes sont autonomes et libres de travailler sur les projets artistiques de leur choix. « On sait tous que l’on est handicapés. On n’est pas là par hasard, mais ce n’est pas un lieu de soin. Ici, on est des artistes avant tout, souligne Virginie Chapel, qui présente depuis le 17 juin l’exposition “Curiosités”, qui explore les métamorphoses liées au traumatisme et les voies vers la résilience. Les gens viennent pour notre travail, questionnent, achètent et ne se demandent pas quelle est notre histoire. »
Créés en 2005, les GEM sont des associations portées par et pour des usagers en santé mentale. Financés par l’agence régionale de santé et basés sur le principe de pair-aidance, ce sont des lieux de socialisation. « La responsabilisation des adhérents dans le fonctionnement de l’association est fondamentale. Ils doivent être acteurs du lieu », indique Juliette Brunet, volontaire en service civique au sein d’ArtAme Gallery. Affilié à l’Unafam (Union nationale de familles et amis de personnes malades ou handicapées psychiques), le GEM ArtAme Gallery est parrainé par l’association parisienne d’aide à la santé mentale Les ailes déployées.
Ouvert du mardi au samedi, de 14 h à 19 h, le lieu permet aux artistes de venir parfaire leurs œuvres quand ils le souhaitent. Ils sont aujourd’hui une quarantaine à fréquenter le lieu. Schizophrénie, paranoïa, névrose, bipolarité, stress post-traumatique, autant de troubles psychiques qui peuvent mener à l’isolement. Ici, « l’étiquette du handicap disparaît », formule Virginie Chapel.
Parfois communes, parfois solitaires, les expositions ont lieu tous les mois. Les artistes d’ArtAme Gallery participent également à la Biennale Hors Normes de Lyon, événement international consacré à l’art qui se déroule tous les deux ans dans la capitale de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Une réussite qui valorise les adhérents et consacre la réputation de l’association dont l’histoire remonte à 1992 et à la formation du premier groupe d’artistes au sein de l’Unafam. Lieu d’art et de vie, elle constitue un repère dans le paysage de la santé mentale en région parisienne. « Je ne sais même pas depuis combien d’années je viens ici », confie Germaine, artiste. Avant d’ironiser : « C’est simple, ça bouge dans ma tête, ça c’est sûr, mais moi je ne bouge pas du GEM, jamais ! »
(1) ArtAme Gallery : 37, rue Ramponeau – 75020 Paris.