Le théâtre, la musique, la danse, la peinture, l’écriture… alliés du travail social. L’histoire a commencé dans les années 1970, avec le « théâtre de l’opprimé », créé par le dramaturge brésilien Augusto Boal. L’idée de départ étant qu’en s’appuyant sur l’égalité des intelligences et des savoirs, chacun peut devenir acteur du jeu, de la scène et, in fine, de sa vie. Le concept a essaimé. Psychologue de formation, Olivier Couder a été l’un des pionniers à associer théâtre et handicap. Dans sa compagnie née en 1989, une quinzaine d’acteurs sont en situation de handicap mental ou psychique. « Le théâtre met plus en lumière notre commune humanité que nos différences », souligne celui qui milite désormais pour l’émergence d’un réseau francilien d’accessibilité culturelle(1).
Si les pratiques artistiques ne guérissent ni ne soignent, elles permettent de se sentir exister quand les mots n’existent pas, que les corps sont entravés. A l’instar du travail du chorégraphe Thierry Thieû Niang, qui fait danser les autistes, les détenus, les patients Alzheimer, les migrants… pour partager le « sensible » avec ceux qui n’appartiennent pas à l’élite sociale(2), les travailleurs sociaux assistent parfois à la renaissance des personnes qu’ils accompagnent par l’art et la culture.
Parce que les choses bougent, comme en témoigne le projet européen Change2Regard (page 8), ce sont certains de ces exemples que les ASH proposent aux lecteurs dans ce numéro double d’été. Un autre regard sur les personnes handicapées, démunies, empêchées… Une autre identité aussi pour les bénéficiaires. A l’image du groupe de rock nantais KubE, initié par un éducateur il y a six ans et composé de musiciens professionnels et de jeunes handicapés moteurs qui, une fois sortis du cadre formel de l’institution, se transforment en « bêtes de scène » à chaque concert (page 18).
Une perspective d’émancipation et d’autonomie s’ouvre. La confiance s’installe. Les frontières tombent. Comme pour les enfants des quartiers populaires à qui la Philarmonie de Paris offre depuis 2010 l’apprentissage à un instrument de musique pendant trois ans (page 12). Ou encore l’association alsacienne Tôt ou T’Art, qui promeut depuis vingt ans auprès des structures sociales et médico-sociales l’accès à la culture pour les personnes isolées et précaires : « Ça change complètement leur rapport à leur accompagnement », pointe un intervenant social (page 10). Des liens se tissent autrement. « Le rapport de domination plus ou moins conscient avec les professionnels s’atténue », souligne le sociologue Gérard Creux (page 16). Cette diminution de la « violence symbolique » entre le monde des « normaux et celui des « anormaux », pour reprendre Isabelle Ginot, enseignante en danse à l’université Paris 8 (page 28), peut également « réenchanter » les pratiques professionnelles, selon le sociologue, et leur redonner un sens face à la « taylorisation » du travail social.