Le visage égratigné, les joues rosies, les cheveux blonds coupés en brosse, Ryan peine à tenir en place sur sa chaise. « C’est ma sœur qui a voulu que je vienne », lance le jeune garçon à l’attention du réalisateur et de son assistante derrière l’objectif. Le film Les pires, sélectionné dans la catégorie « Un certain regard » au Festival de Cannes 2022, s’ouvre sur des scènes d’entretiens de jeunes de la cité Picasso, à Boulogne-sur-Mer, dans le nord de la France. Si elles sont troublantes de réalisme, ces séquences face caméra relèvent pourtant bel et bien d’une fiction. Dans ce long métrage qui sortira en salle en novembre prochain, les réalisatrices Lise Akoka et Romane Gueret ont mis en scène le casting et le tournage d’un film au sein d’un quartier populaire peu habitué à la lumière des projecteurs. Dans une atmosphère parfois déroutante, oscillant entre réalité et fiction, le spectateur suit ainsi les vies accidentées de Lily, Ryan, Maylis et Jessy, quatre enfants interprétés avec brio par des jeunes rencontrés dans des foyers ou à la sortie de leur école.
Pour dénicher les acteurs, Lise Akoka et Romane Gueret ont en effet réalisé un casting sauvage. Au total, les cinéastes ont vu près de 800 jeunes, pour finalement n’en retenir que dix pour les rôles principaux. Un travail de repérage de longue haleine qui a été réalisé main dans la main avec les structures de la protection de l’enfance sur la côte d’Opale et dans le Bassin minier. « A chaque fois, nous échangions avec les travailleurs sociaux, confie Romane Gueret aux Actualités sociales hebdomadaires. Le travail s’est fait en commun, même si nous n’avions pas toujours les mêmes regards. Parfois, les professionnels nous parlaient d’un enfant en raison de son vécu qu’ils connaissaient bien, alors que, de notre côté, nous cherchions également à ce que la personne dégage quelque chose de singulier face à la caméra. »
Le film Les pires prend racine dans le court métrage Chasse royale, la précédente œuvre de Lise Akoka et Romane Gueret, mettant lui aussi en images un repérage d’acteurs non professionnels. Chaque fois, les deux réalisatrices, qui ont d’abord été directrices de casting et coachs d’enfants, se sont inspirées de leur propre expérience. « Le scénario des Pires est le fruit de beaucoup de rencontres », souligne Romane Gueret. Après le repérage, une phase de réécriture a toutefois eu lieu. « Nous voulions que les jeunes s’approprient les rôles et les dialogues. S’ils avaient envie de changer des choses au scénario, nous l’avons pris en compte. » Une attention particulière a aussi été portée aux parcours de vie des personnages afin qu’ils ne soient pas trop similaires à ceux des acteurs. « Nous avons tenu à ce que la limite entre la fiction et la réalité soit claire. Il s’agit d’un travail subtil pour être très réaliste sans tout mélanger », poursuit la réalisatrice.
Comme une mise en abîme, Les pires questionnent justement cette frontière par le biais du personnage du réalisateur, Gabriel. Coincé entre « l’amour réel qu’il porte aux enfants et le soin qu’il prend à apporter une vision à son film », il dépasse parfois les limites. Comme lorsqu’il laisse dégénérer une scène de bagarre entre Ryan et d’autres jeunes pour obtenir une séquence la plus vraie possible. Tout ce cadre ambivalent résulte encore une fois de l’expérience et des observations des deux cinéastes. « C’est un mélange de ce que nous avons pu voir en tant que techniciennes sur des tournages et de ce que nous avons vécu avec le court-métrage. Nous nous sommes nous-mêmes déjà demandé à certains moments si nous étions à la bonne place, si nous avions fait les choses correctement. » Le titre Les pires se veut une forme d’« hommage » à ces jeunes aux parcours de vie difficiles qui prennent finalement leur place en haut de l’affiche.