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Affaire de femmes

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C’est un simple tweet, quelques dizaines de caractères accompagnés d’une photo. « Au menu ce soir, dans un Ehpad du groupe ***. Le repas d’une dame de 92 ans. Ma grand-mère. Colère noire, indignation et dégoût. » En illustration, la photo d’un plateau repas sur lequel trônent nonchalamment un verre d’eau, un bol de soupe, un yaourt aux fruits et une assiette contenant un plat baignant dans une sauce brunâtre. Viande mixée ? Gâteau fondant dégoulinant ? Pâté de foie ? Pour le savoir, il faudrait y goûter mais la présentation n’y incite guère. Prix à payer pour résider dans cet endroit de rêve, haut lieu de la gérontogastronomie ? 4 600 € par mois. C’est ce qui est précisé dans un autre tweet du même auteur, daté du 4 juin.

Sous la photo, les commentaires se déchaînent. « C’est honteux, indigne, intolérable ! Il faut prévenir le directeur, l’ARS, le ministre, le président ! Il faut changer d’Ehpad, porter plainte ! »

Le monsieur connaît le sujet. En tant qu’aidant parce qu’il le vit, en tant que journaliste parce qu’il a fait un reportage sur le sujet il y a quelques années(1). Mais ça, les anonymes commentateurs n’en ont cure. Au fil des réponses, les gentils conseils se transforment en sombres reproches.

« C’est honteux de placer les anciens en Ehpad après tout ce qu’ils ont fait pour nous ! Dans plein d’autres pays, les vieux restent à la maison. Vous abandonnez vos parents, venez pas vous plaindre après ! Il vaut mieux employer quelqu’un à domicile ! » Crescendo, les leçons de morale pleuvent sur celui qui ne fait pourtant que relater un simple fait : une femme très âgée paie 4 600 € par mois pour se voir servir des repas indignes.

Et le témoin devient coupable et complice. Coupable d’abandon et complice de maltraitance. Et les accusateurs deviennent preux chevaliers, défendant la veuve et la grand-mère outragées, celles qu’ils n’abandonneront jamais, eux ! Oui, ils seront prêts à tous les sacrifices, parce que c’est leur devoir. Ils ? Non, plutôt elles(2). Car dans les faits, ce sont les femmes qui s’occupent des personnes vulnérables. Ce sont elles qui interrompent leur carrière pour s’occuper des enfants, des parents, des beaux-parents. Ce sont elles encore qui, lorsqu’elles sont aidantes, assurent les tâches que les hommes rechignent à effectuer : soins du corps et entretien de la maison. Ce sont elles enfin qui, à même niveau de perte d’autonomie, s’occuperont plus longtemps d’un conjoint dépendant. Elles sont éduquées ainsi, les femmes. Condamnées à aimer et à aider, quoi qu’il leur en coûte. Parce qu’elles sont femmes.

Les conseilleurs ne sont pas les payeuses.

Notes

(1) Loan Ego – « Le business de la dépendance » – Paris Match n° 3590, 1er mars 2018.

(2) Floriane Maisonnasse – « Egalité entre les femmes et les hommes : le cas des aidants familiaux » – Regards n° 250, décembre 2016.

La minute de Flo

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