URIOPPS, FAS, GNDA, UNAPEI, CNAPE… Les pancartes flottent sur la place du Palais-Royal, ce vendredi 8 juillet. Derrière les sigles monotones, ce sont plus de 130 000 salariés franciliens du secteur social, médico-social, et sanitaire qui sont représentés. Le mot d’ordre des 19 fédérations et collectifs associatifs réunis pour cette manifestation ? Alerter, une fois de plus, sur l’ampleur de la crise que traversent les « métiers de l’humain » et sur les risques qui pèsent sur la continuité de l’accompagnement des personnes les plus fragiles.
Nichés entre le parvis du musée du Louvre, à droite, et les grilles du Conseil d’Etat, à gauche, les orateurs se succèdent au micro : « Un chèque donné de temps en temps ne fait pas disparaître la pauvreté, qui heurte tous les jours de plus en plus de nos concitoyens, clame David Goldberg, président de l’Uriopps (union régionale des organismes privés sanitaires et sociaux) d’Ile-de-France. D’autant plus lorsque ces annonces de revalorisation ne sont pas honorées. Outre le manque de moyens, c’est l’absence de considération des pouvoirs publics qui frappe les travailleurs sociaux. Ce que nous réclamons aujourd’hui, c’est le respect de la parole donnée. »
La parole donnée, c’est celle de Jean Castex lors de la conférence des métiers de l’accompagnement social et du médico-social, le 18 février 2022, à Paris. Alors Premier ministre, il annonçait que la filière socio-éducative, à l’instar des personnels soignants, percevrait également la revalorisation salariale de 183 € net par mois promise dans le cadre du Ségur de la santé. Cinq mois plus tard, il semble que les « oubliés du Ségur »… le soient toujours. Alors que cette prime doit être financée par l’Etat et l’Association des départements de France, force est de constater que « ces sommes d’argent ne sont toujours pas versées dans les établissements et services », déplore David Goldberg.
Pour les fonctions publiques d’Etat, hospitalière et territoriale, cette revalorisation est effective depuis le 1er avril 2022. En revanche, pour les associations à but non lucratif, rien n’est acté, ni financé. « D’un côté, les salariés grondent, à raison, contre ces différences de traitement entre privé et public. De l’autre, l’Etat et les départements demandent aux associations de faire l’avance. Mais ces coûts supplémentaires ne sont pas pris en compte dans les budgets et aucun décret n’a été publié sur les modalités de versement de cette prime », poursuit le président de l’Uriopps Ile-de-France. Une situation qui « détériore le dialogue social » au sein des structures et renforce l’exode des professionnels du social.
« Le Ségur pour les SIAO ! », entonnent en chœur un groupe de manifestants durant la prise de parole de Pascal Brice, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), lorsqu’il évoque l’extension de la prime Ségur à l’ensemble des personnels qui œuvrent dans les structures sociales et médico-sociales. Ecoutants du 115 ou régulateurs d’hébergement d’urgence, les membres du service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) de Paris font partie des métiers exclus de la revalorisation salariale. Une « aberration », s’indigne David Goldberg, qui souligne l’importance de ces travailleurs en première ligne de l’action sociale. Même son de cloche chez Lucas Pairaud, délégué régional Ile-de-France du Groupement national des directeurs généraux d’associations (GNDA), lorsqu’il évoque l’absence de prime pour les assistants familiaux : « Ils ne font pas d’accompagnement éducatif, ces gens-là, peut-être ? Ils en font tout au long de l’année, 24 heures sur 24 ! »
Au loin, une pancarte trône fièrement au milieu de la foule : « Les malheurs du social par la comtesse de Ségur ». Un trait d’esprit qui fait référence à la femme de lettres et pose le constat des déboires du travail social. Son autrice ? Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale du Centre d’action sociale protestant (CASP). « Le Ségur 2 a, certes, permis la reconnaissance des personnels socio-éducatifs, mais quid de ceux qui agissent au quotidien pour accueillir les personnes en situation de précarité ?, questionne la directrice de l’association, qui pilote plusieurs structures de lutte contre l’exclusion en région parisienne. Je pense aux agents d’entretien, aux services techniques, aux conseillers juridiques, aux agents d’accueil, à toutes ces personnes essentielles au fonctionnement de nos services qui sont laissées pour compte. »
Paradoxalement, dans une période d’inflation galopante, les plus bas salaires sont exclus des revalorisations annoncées par le gouvernement. Une situation qui attise le sentiment d’injustice entre professionnels et génère du découragement. « Les “invisibles”, comme on les a surnommés durant la crise sanitaire, ont démontré qu’ils étaient essentiels. Aujourd’hui, ils doivent être reconnus et valorisés », martèle Aurélie El Hassak-Marzorati.
Parmi les quelque 200 professionnels regroupés en ce début d’après-midi, une écharpe bleu-blanc-rouge se faufile. Le député William Martinet (Nupes-LFI), récemment élu dans la 11e circonscription des Yvelines, échange avec les représentants d’associations. Ancien chargé de mission « hébergement et logement » au sein de la FAS, il dit « connaître le secteur » et s’engage à « amener le sujet sur la table » dans l’enceinte du Palais Bourbon. « Les discussions autour du projet de loi “pouvoir d’achat” vont commencer. Nous allons faire passer des amendements pour un élargissement de la prime Ségur et l’effectivité de son financement », assure-t-il.
Une urgence absolue, selon Marie-Christine Mourgue, présidente de SOS Femmes 93. « Une travailleuse sociale en début de carrière touche 1 400 € net. Comment voulez-vous avoir un logement décent en Ile-de-France si vous n’avez pas un conjoint qui touche un salaire conséquent », s’emporte la responsable de l’association, qui accompagne des femmes victimes de violences conjugales. Des difficultés d’attractivité rencontrées par Aurélie El Hassak-Marzorati « Actuellement, au sein du CASP, près de 80 personnes doivent être recrutées sur des postes vacants. En Ile-de-France, la situation devient critique. » Un constat que partage également Pascal Brice, lorsqu’il réclame au micro que, « dans ces temps si troublés », les pouvoirs publics « redonnent au travail social la place qui est la sienne ».