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« Désormais, le social doit générer des recettes »

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Pour le sociologue Manuel Boucher, le New Public Management et l’idéologie de la performance qu’il sous-tend contribuent grandement à la perte de sens dont souffrent les travailleurs sociaux. Il plaide pour que ces derniers retrouvent davantage d’autonomie.
Est-ce devenu « has been » d’être travailleur social aujourd’hui ?

Je ne crois pas. Le travail social est capital dans la lutte contre les inégalités et les politiques en ont parfaitement conscience. Mais ils veulent que les professionnels participent à un projet d’intégration sociale et non plus de cohésion sociale. Ce qui n’est pas la même chose. Le secteur est éclaté. Les nouvelles formes de précarité obligent les travailleurs sociaux à opérer au-delà des champs historiques de la protection de l’enfance, du handicap, de l’assistance sociale… Ils agissent désormais dans un univers atomisé entre plusieurs métiers, dans un monde composé d’une multiplicité d’employeurs. Le travail social s’inscrit dans un espace beaucoup plus flou : celui de l’intervention sociale. La crise n’est pas simplement liée au recrutement et aux rémunérations. Elle touche avant tout à la quête de sens.

Le secteur suit-il la même évolution que l’hôpital public ?

Il existe énormément de similitudes. Les travailleurs sociaux sont confrontés aux logiques dictées par le New Public Management (1). Né dans les années 1970, ce concept minimise toutes différences de nature entre la gestion publique et la gestion privée dans les conventions d’objectifs, dans les démarches qualité, les procédures d’évaluation internes et externes. Il percute l’identité des professionnels, leur déontologie, leur représentation, le sens de leur action… L’usage d’indicateurs et de normes gestionnaires tend, au même titre que dans le sanitaire, à se multiplier. Et ce sous l’impulsion d’agences autonomes telles les agences régionales de santé qui mènent à bien des objectifs de performance de l’action publique. Le secteur est de plus en plus enjoint à faire sienne une culture de la qualité, normalisée dans des chartes, des protocoles, des labels…

Que reflète cette crise sur l’état de notre société ?

On est passé d’un Etat social solidariste à un Etat social actif dans lequel l’accompagnement doit générer des recettes. L’exemple le plus frappant est celui des contrats à impact social, lancés en 2016. Ceux-ci s’adressent à des entreprises privées afin de financer des expérimentations sociales. En cas de succès, les financements sont remboursés avec intérêts par l’Etat. Cette démarche s’inscrit totalement dans l’Etat social actif, qui vient remettre en question l’idéal du travail social solidariste. Le livre vert du travail social du Haut Conseil du travail social, publié en début d’année, est un vade-mecum qui définit les mots, les concepts, les processus, les cadres attendus par les dirigeants du social. On y retrouve l’« aller-vers », la participation des usagers, les pratiques réflectives… Tout cela s’inscrit dans un positionnement propre : celui de l’idéologie de la performance.

Que pensez-vous des mesures annoncées pour gagner de l’attractivité ?

Les revalorisations salariales sont nécessaires mais insuffisantes. Le rapport « Piveteau », chargé de définir de nouvelles perspectives pour le travail social, milite « pour la participation active » des personnes accompagnées. Dans cette optique, les professionnels sont les promoteurs du pouvoir d’agir. Les personnes accompagnées doivent être reconnues comme des experts d’usage de leur propre vulnérabilité, des détenteurs de savoirs expérientiels que les travailleurs sociaux accompagnent.

Quels changements préconisez-vous ?

Le plus important est de remettre le travail social au cœur de notre société. Au même titre que l’on a conscience que sans l’hôpital, sans la santé, notre société n’est pas démocratique ; au même titre que si l’éducation bat de l’aile, la société est en difficulté. Il ne peut pas y avoir de cohésion sans travailleurs sociaux qualifiés, plus autonomes professionnellement. Aujourd’hui, l’universitarisation des formations conduit à leur vassalisation et à leur maltraitance. Il ne suffit pas d’avoir une licence ou un master, il faut donner un statut, protégé et financé par les pouvoirs publics, aux écoles du travail social. Elles doivent devenir des hautes écoles en travail social.

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