« C’est une intervention qui se fera sur la base du volontariat », nous a annoncé notre responsable lors de la réunion mensuelle. J’ai regardé Sofia, qui a regardé Isabelle, qui regardait ailleurs. « C’est une aide aux soins d’hygiène et à l’entretien du logement pour Monsieur B., 67 ans, domicilié dans le XIVe arrondissement », a continué Madame Grandchef. Isabelle a baillé, Sofia a regardé sa montre et j’ai regardé par la fenêtre.
« J’ai rencontré Monsieur B. avant-hier, et je préfère prévenir que ce ne sera pas simple. Le logement est exigu et il y a deux colocataires. » J’ai répondu discrètement à un texto de mon fils, Madame Grandchef l’a vu, j’ai regardé mes pieds.
« Florentine, puisque le sujet semble vous intéresser, je suppose que vous ne voyez aucun inconvénient à intervenir en prison ? » J’ai regardé Madame Grandchef, qui m’a regardée, et tout le monde a regardé ailleurs.
« Aucun problème », ai-je répondu. Et c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Monsieur B.
J’avais tout un tas d’idées sur les prisons. Mais en vrai, je n’avais aucune idée de ce que c’était.
Il y a les grilles et les murs. Il y a les clés, qui ouvrent, qui ferment et qui tintinnabulent. Il y a les pas, les cent pas, les pas comptés et les faux pas. Il y a ce mélange piquant de produits d’entretien et d’enfermement. Le bruit, l’odeur… Loin de l’idée que j’en avais.
J’avais tout un tas d’idées sur les détenus. Mais en vrai, je n’en connaissais aucun.
Et j’ai rencontré Monsieur B.
Monsieur B, la première fois, n’est pas très causant, mais a-t-on vraiment envie de parler quand il y a tant d’oreilles qui traînent ? Et, sincèrement, ai-je vraiment envie d’écouter ? Alors je me concentre sur ma fiche de poste : « Entretien du logement et aide à la toilette. » Mais comment respecter l’intimité quand il y a tant d’yeux qui traînent ? Le regard du surveillant, mains dans le dos, et celui du voisin, dos au mur. Et moi, gênée aux entournures, qui me cogne contre la table, le lit, partout, parce que tout est trop petit, trop étriqué. Le sourire de Monsieur B., qui me trouve empotée, et mon rire en retour, qui confirme son impression.
La fois suivante, je suis un peu moins gênée, le surveillant un peu moins scrutateur, et Monsieur B. un peu moins taiseux. Et de visite en visite, la relation s’installe, à pas feutrés, à petits pas, pas à pas.
Il parle un peu, j’écoute beaucoup. Il me parle du dedans, de la vie d’ici, une vie peu racontée, ou mal. Le voisin de gauche a besoin de soins dentaires, mais il n’y a plus de dentiste, alors il se soigne à coups d’antalgiques. Le voisin de droite ne sort jamais en promenade, il y a trop d’escaliers à franchir et ses jambes ne le portent plus. Le voisin d’en face a fait une coloscopie, il était menotté et l’escorte est restée dans la chambre, assistant à toute l’intervention. Le voisin d’en bas devait faire le même examen, mais ça a été annulé le jour même, faute de personnel suffisant pour l’extraction. Le voisin d’en haut a besoin d’un lit médicalisé, mais il n’y a pas la place nécessaire dans sa cellule.
La santé pour tous, mais pas pour eux. Parce qu’un faux pas, pas perdu, pas de soins.