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Un rêve d’enfant

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Un repas de famille quelconque, coincée entre le beau-père en retraite et le beau-frère en dépression. Une conversation anodine, à propos du petit-neveu qui est allé aux urgences et c’était drôlement long, il y avait du monde, le petit avait mal, l’infirmière était gentille, mais débordée, mais drôlement gentille quand même, et finalement ce n’était pas trop grave, heureusement, d’ailleurs le médecin a dit qu’ils auraient pu voir leur médecin traitant pour ça, il était limite pas sympa ce docteur, mais bon, il y avait du monde, il était sans doute fatigué. Et quand même, l’infirmière était gentille, elle a même donné un bonbon au petit avant de partir, ça compense le médecin pas sympa. J’écoute distraitement, le petit-neveu va bien, les parents sont rassurés, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais beau-papa n’est pas de cet avis, et il tient à nous le faire savoir.

« De toute façon, l’hôpital, c’est plus comme avant ! Ce n’est pas moi qui le dis hein, c’est ce type, là. Un grand professeur, il sait de quoi il parle, lui ! », marmonne-t-il en pointant le journal qui traîne sur la table du salon.

Mi-curieuse mi-agacée, je me penche sur l’article en question. La citation en titre me hérisse le poil : « A l’hôpital, il y a beaucoup plus de tire-au-flanc qu’avant » (Le Figaro, 1er juillet).

Et c’est parti pour la très longue tirade du grand professeur P., chef de service du prestigieux hôpital C. Les infirmières sont obsédées par leurs vacances, les internes rechignent à travailler plus de quarante-huit heures par semaine et les patients ne sont que des gratte-vacances qui ont l’outrecuidance de quémander des arrêts maladie au lieu de se faire docilement opérer sur leurs congés annuels. Tout va mal ma pov’dame ! Enfin ça, ce n’est pas le grand professeur qui le dit, hein, c’est beau-papa. Et lui aussi sait de quoi il parle, parce qu’avant d’être ce vieux grincheux en charentaises, il était un jeune médecin en blouse blanche, toujours immaculée la blouse, c’est belle-maman qui la lavait et la repassait avec dévotion. « De mon temps, on travaillait dur, mais on était respecté… alors que maintenant… »

Maintenant quoi ? Maintenant, près de sept soignants sur dix en France sont en situation d’épuisement professionnel et nombre d’internes en médecine abandonnent leur rêve d’étudiants. Certains y ont laissé leur peau. Quant aux patients, ballottés entre le non-recours aux soins et les déserts médicaux, ils font ce qu’ils peuvent pour tenter de se soigner dans des délais à peu près raisonnables, quitte à échouer aux urgences pédiatriques un samedi soir. Et mon petit-neveu tout mignon dont l’avenir semble tant inquiéter son grand-père, il s’en fiche pas mal des atermoiements du grand professeur du grand hôpital. Parce que l’hôpital, c’est ce grand bâtiment qui avale sa maman soignante et recrache son papa dépressif. L’hôpital, il soigne, oui, mais c’est tout sauf un rêve d’enfant.

La minute de Flo

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