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Avoir un être humain face à soi

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A Bastia, Vénissieux ou à Villeurbanne, des « Territoires zéro non-recours aux droits sociaux » ont vu le jour ces deux dernières années, entraînant une évolution des pratiques professionnelles pour les assistantes sociales, amenées à aller à la rencontre des potentiels bénéficiaires. Ces expérimentations s’étendront bientôt à dix nouveaux territoires.

« Avant, je recevais sur rendez-vous le public qui me contactait en cas de souci. Aujourd’hui, c’est moi qui vais vers eux. » Laetitia Damiani, assistante sociale détachée du centre communal d’action sociale (CCAS) pour l’expérimentation « Territoire zéro non-recours aux droits sociaux », lancée en 2020 dans un quartier prioritaire de Bastia, a vu ses pratiques professionnelles évoluer au fur et à mesure pour s’approcher de « l’aller-vers ». Après l’envoi de courriers, puis une étape d’appels téléphoniques sur la base de listes fournies entre partenaires avec l’accord du bailleur social, la professionnelle s’est lancée dans du porte-à-porte, non sans une certaine réticence. « Sur le plan déontologique, je trouvais intrusif d’aller chez les personnes sans prévenir. Je m’attendais à un accueil froid, mais pas du tout, et c’est ce qui m’a poussée à revoir ma copie, explique-t-elle. Je leur présentais la démarche et leur demandais si elles étaient intéressées pour faire un point sur leur situation. Quand j’ai vu que ma démarche était bien accueillie, qu’on arrivait à débloquer des droits ou des situations de ruptures, l’effet gratifiant n’en était que plus augmenté. »

Un gain de temps indéniable

Cette expérimentation, issue d’une convention entre la ville de Bastia, le CCAS et l’Etat, s’est élargie, fin 2021 à un second quartier prioritaire et pourrait s’étendre prochainement au reste de la ville. Au-delà des pratiques professionnelles, elle a également permis de renforcer le dialogue entre les différentes structures, par la nomination d’une personne référente au centre des impôts, à la caisse d’allocations familiales (CAF), à l’assurance maladie… « En tant qu’assistante sociale, j’ai mon propre réseau, mais rien n’était formalisé auparavant. Maintenant je peux récupérer des documents en un temps record sur des cas complexes : au lieu d’un mois et demi, une situation peut ainsi être débloquée en trois jours. On peut dire que l’expérimentation m’a beaucoup facilité la tâche. »

Le même constat est dressé à Vénissieux (Rhône), dans le quartier du Moulin-à-vent, où une expérimentation a démarré en octobre 2021, puis à Villeurbanne en mars 2022, portée par l’association Passerelle, au sein du laboratoire social Le Centsept. « Comment trouver les personnes ? Je dois être visible, alors je me promène dans le quartier le plus possible, indique Justine Marchal, ambassadrice des droits. Je fais de la sensibilisation auprès des commerces du quartier sur leur rôle de détection et de mise en contact et je leur laisse mes flyers. Si, par exemple, une carte Vitale ne passe pas à la pharmacie, j’explique que l’incident peut être l’opportunité d’évoquer notre démarche. » 80 % des personnes ayant pris contact avec elle via le flyer étaient en situation de non-recours. Si les personnes se présentent avec un problème particulier, comme une dette auprès de la CAF ou d’un bailleur, la discussion qui s’ouvre permet de repérer d’autres droits qui peuvent être sollicités. Il s’agit dans la plupart des cas de la prime d’activité ou de la complémentaire santé. « L’accès aux soins est un point important, avec des rappels à faire pour les dents, les yeux… » De fait, souvent les personnes n’ont pas consulté depuis longtemps. « Même si la situation ne se débloque pas, les personnes expriment un soulagement d’avoir pu se poser, parler de tout, être orientées. D’avoir eu simplement un être humain en face d’elle, c’est ce qui ressort le plus de nos discussions. Plus que le non-recours, c’est le manque de réponse qui les fatigue », constate Justine Marchal.

Dans un premier temps, les deux assistantes sociales ont tâtonné et adapté leurs méthodes et leurs horaires à la vie du quartier : pour ne pas rater les mères de famille déposant les enfants à l’école, par exemple. Prochain défi : atteindre les jeunes. « Ce n’est pas un public particulièrement connaisseur en accès aux droits, mais je comprends que mes techniques d’aller-vers ne sont pas forcément adaptées. Je dois trouver d’autres lieux, d’autres approches », souligne Justine Marchal.

Si l’expérimentation « Territoires zéro non-recours non-recours aux droits sociaux » semble porter ses fruits, sa généralisation à toute la France reste encore difficilement concevable sans moyens humains supplémentaires. Pour l’heure, ce sont dix autres territoires qui devraient voir le jour d’ici la fin du mois de juillet pour une durée de trois ans(1). Avant de possibles élargissements, sur le modèle des « Territoires zéro chômeurs de longue durée ».

Notes

(1) Cette expérimentation est prévue par la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale – dite « 3Ds » – du 21 février 2022.

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