« Les chiffres de l’Insee de mai 2022 sont sans appel : les prix à la consommation ont augmenté de 5,2 % sur un an, dépassant la barre des 5 % pour la première fois depuis 1985. La déstabilisation des marchés de l’énergie et des marchés alimentaires liée à la guerre en Ukraine entraîne une augmentation des coûts de l’ensemble des matières premières et des produits de consommation.
Les conséquences pour les ménages sont directes et, souvent, la variable d’ajustement de leur budget se situe au niveau des dépenses alimentaires. Le constat est clair : les foyers les plus modestes ont de moins en moins les moyens de se nourrir en quantité et en qualité suffisantes. Entre sept et huit millions de personnes sont en situation de précarité alimentaire dans notre pays (direction générale de la cohésion sociale, 2020). Ce chiffre est appelé à augmenter, avec un niveau d’inflation qui pourrait atteindre les 10 % en fin d’année, soit une hausse du panier d’achat moyen de l’ordre de 96 €. Dans ce contexte, l’aide alimentaire est cruciale et nécessaire, et les réseaux d’aide alimentaire existants sont en première ligne : pour exemple, les Banques alimentaires apportent un complément en produits évalué à 92 € par mois et par personne.
Face à la crise sanitaire qui a déjà mis à mal les populations jeunes, âgées, fragiles ou isolées, notre résilience a permis de répondre en 2020 à une augmentation de 6 % des personnes accueillies dans notre réseau, puis de 4 % en 2021. Cette tendance se confirme en 2022, avec une hausse de 4 % au premier trimestre (par rapport au premier trimestre 2021).
Au-delà de la mobilisation associative, qui se joue au quotidien grâce à l’engagement des bénévoles et des salariés, il existe une réflexion politique et institutionnelle. Pour répondre au défi de la réduction du pouvoir d’achat des ménages modestes et de l’accès à une alimentation durable, le gouvernement a récemment annoncé la mise en place d’une aide d’urgence dès la rentrée puis d’un chèque alimentation durable à horizon 2023. A la genèse de ce dispositif, une demande citoyenne formulée lors de la Convention citoyenne pour le climat, reprise par l’exécutif : le chèque alimentaire.
Œuvrant avec professionnalisme depuis des années pour fournir une aide alimentaire de plus en plus locale, durable, de qualité en lien avec les filières agricoles, et un accompagnement social complet et adapté, notre réseau soutient la mise en œuvre de cette aide d’urgence et entend participer à la co-construction du chèque alimentation durable.
Pour mettre en place ce chèque, les Banques alimentaires appellent les pouvoirs publics à la concertation des acteurs concernés : du monde agricole aux citoyens en passant par les réseaux d’aide alimentaire. Les modalités de financement, d’attribution et de distribution du dispositif ne sauraient être établies sans discussions avec l’ensemble des parties prenantes, et notamment des réseaux associatifs habilités, qui ont fait preuve d’une mobilisation dans l’urgence face aux crises successives et à leurs conséquences économiques et sociales.
Les défis techniques sont nombreux concernant cette mesure, notamment en raison de questionnements autour du ciblage de certains produits éligibles. Il semble fondamental pour autant de le construire collectivement, à la faveur des consommateurs modestes qui en ont besoin, et des producteurs français.
Nous nous attachons à rappeler avant toute chose l’importance de l’accompagnement social, essentiel en matière d’inclusion et d’éducation à l’alimentation des personnes en situation de précarité. 66 % des personnes vulnérables soulignent le besoin d’être accompagnés, et ce chiffre atteint 84 % pour les plus de 70 ans (enquête Fédération française du bénévolat et de la vie associative-Institut CSA, 2020).
Les Banques alimentaires ont créé le programme “Bons gestes &bonne assiette” en mars 2022. Ce programme évolutif met à disposition des personnes modestes et des populations fragiles des ressources pour comprendre et s’approprier l’alimentation-santé. Pour garantir cet accompagnement dans le cadre du futur chèque alimentaire durable, les Banques alimentaires proposent de confier une partie des chèques aux réseaux associatifs, qui sont des professionnels de la solidarité, éprouvés à écouter, entendre et répondre aux besoins, au-delà de l’aide alimentaire apportée. De tels acteurs pourraient être les intermédiaires de confiance, garants du fonctionnement du dispositif.
L’inclusion sociale est un défi à relever collectivement, notamment en concordance avec l’aide alimentaire. Il est important de rappeler que la loi “Agriculture et alimentation” du 30 octobre 2018 prévoit que la lutte contre la précarité alimentaire est assortie de la proposition d’un accompagnement.
Le chèque alimentaire ne doit pas monétiser l’aide alimentaire en la privant du lien humain qui est sa force. Les 7 057 bénévoles et 614 salariés permanents de notre réseau ainsi que nos associations partenaires orientent et conseillent les personnes aidées, les redirigent vers les professionnels de l’assistance sociale et de la santé, et assurent l’accompagnement par l’alimentation. Nous proposons que la mise en place du dispositif du chèque alimentaire soit “décentralisée” sous l’impulsion des autorités publiques régionales (Etat et collectivités locales) pour s’appuyer sur les nombreuses initiatives déjà mises en place dans les territoires et les réseaux associatifs et encourager les concertations.
Depuis plusieurs années, nous sommes engagés pour améliorer la qualité et diversifier les produits que nous distribuons à travers nos 5 749 associations et centres communaux d’action sociale partenaires. Nous nous rapprochons mois après mois des recommandations du programme national nutrition santé, en particulier pour l’apport en fruits et légumes frais recommandés (24,2 % de notre distribution) et l’apport en protéines (7,8 %). Grâce aux relations privilégiées que nous entretenons avec le monde agricole, nous multiplions les partenariats avec les coopératives, les producteurs et les filières. Nous avons donc la possibilité d’acheter auprès de ces agriculteurs, une démarche vertueuse pour nos bénéficiaires et pour l’économie agricole locale.
Cette dynamique d’achat a été impulsée par la crise sanitaire, avec par exemple la Banque alimentaire de la Manche qui a effectué 72 000 € d’achats pour des produits locaux. En région Nouvelle-Aquitaine, les Banques alimentaires ont été chefs de fil de l’aide aux jeunes en situation de précarité, ainsi qu’en Nouvelle Occitanie avec le programme “Bien manger pour tous”. Aussi, confier une partie des chèques alimentaires à notre réseau permettrait de les distribuer à nos associations partenaires, afin qu’elles puissent acheter des compléments de produits frais (fruits et légumes, protéines animales) auprès des agriculteurs français, et a fortiori de producteurs locaux.
L’Espagne ou la Belgique par exemple s’appuient sur les réseaux associatifs pour la distribution de « chèques services » avec en parallèle un accompagnement social des personnes aidées. C’est cet esprit de solidarité profonde et humaine que nous défendons, en lien avec tous les acteurs de la chaîne alimentaire et notamment les agriculteurs. »
(1) www.banquealimentaire.org. Le réseau est composé de 79 Banques alimentaires qui collectent chaque année sur tout le territoire près de 132 700 tonnes de produits auprès de la grande distribution, de l’industrie agroalimentaire, des agriculteurs et du grand public. Il bénéficie du soutien de l’Union européenne et de l’Etat pour les distribuer à un réseau de 5 749 associations et centres communaux d’action sociale partenaires. Les banques alimentaires sont également spécialistes de l’accompagnement social et soutiennent ainsi 2,2 millions de personnes en situation de précarité.