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Ressusciter les « chasse-coquins » ?

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Le 22 juin dernier, plusieurs organisations ont alerté la défenseure des droits sur le caractère discriminatoire des arrêtés municipaux interdisant la mendicité en vigueur dans plusieurs villes de France, cette interdiction ayant pourtant été levée par une loi de 1994. Décidés au motif de la tranquillité, de l’hygiène ou de la sécurité publique, ces textes s’inscrivent dans la longue histoire du rejet des personnes sans domicile fixe, désignées comme « mendiants », « indigents », « vagabonds » ou « clochards ».

En fait, l’interdiction de la mendicité votée en 1994 clôt une période ouverte au moins trois siècles plus tôt, quand, au XVIIe siècle, fut institutionnalisé le « grand renfermement ». Cette première politique d’ampleur à l’égard des personnes en grande pauvreté consistait à les enfermer dans des hôpitaux où on les mettait au travail pour les occuper et les « rééduquer » moralement. Jusqu’alors, au long du Moyen Age, de nombreuses villes de France missionnaient à leurs portes des gardes – appelés « chasse-gueux » ou « chasse-coquins » – pour empêcher les vagabonds venus d’ailleurs de pénétrer dans les enceintes. Une distinction opérait donc entre les mendiants de l’intérieur, tolérés et plus ou moins intégrés à la communauté, et les vagabonds de l’extérieur, qui représentaient une menace potentielle.

La tension entre mendiants et vagabonds, entre « bons pauvres » invalides et « mauvais pauvres » valides et profiteurs, reflète l’ambivalence du regard porté par les autorités et par le corps social sur les situations de grande précarité. En 1810, le code pénal fixe une définition du vagabond en l’associant à l’indigence, à l’oisiveté et à la mobilité. Mais, au cours du XIXe siècle, de nouveaux acteurs participent à l’entreprise de catégorisation des pauvres : la psychiatrie, en particulier, contribue à faire du vagabond un malade mental ou un inadapté, autant d’états qui expliqueraient la propension du sans-abri à devenir un criminel.

Médicalisation et judiciarisation de la grande précarité participent donc à la fabrication de nouvelles représentations du sans-domicile. Nourrie par les sciences sociales, la littérature sur l’exclusion a permis de renouveler ces approches depuis la fin des années 1980, dans un contexte socio-économique dégradé. Les politiques publiques sont toujours imprégnées de ces hésitations entre hostilité et hospitalité à l’égard des sans-domicile, traçant une frontière entre ceux qu’il serait possible de réinsérer et les autres.

La gestion de l’espace urbain (bancs, jardins publics…) constitue enfin un prisme essentiel pour comprendre les politiques menées par les municipalités pour chasser ou réorienter les flux des personnes à la rue. En définitive, l’interdiction de la mendicité relève souvent d’une volonté de rendre la pauvreté invisible… Décision qui renforce l’idée d’une hostilité plus forte que le principe d’hospitalité.

Dans le rétro

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