Les deux décès avaient choqué l’opinion publique au Royaume-Uni. Arthur Labinjo-Hughes, un enfant de 6 ans, est mort en juin 2020 après plusieurs mois de maltraitance, et ses parents, reconnus coupables, pour l’un de meurtre et pour l’autre d’homicide involontaire, ont été condamnés par la justice britannique en décembre 2021. L’émotion avait été plus grande encore en septembre 2020 lors du décès de Star Hobson, âgée d’à peine 1 an, tuée par la petite amie de sa mère. Ces deux affaires censées illustrer la faillite des services sociaux en pleine pandémie de Covid-19 ont été examinées à la loupe.
Un rapport rédigé par le comité d’examen des pratiques de protection de l’enfance du Royaume-Uni vient d’être publié. L’objectif : analyser les dysfonctionnements qui ont rendu ces deux drames possibles, et proposer des solutions afin d’éviter qu’ils ne se reproduisent. « Nous pensons qu’il y a trop d’incohérence et d’ambiguïté dans la pratique de la protection de l’enfance en Angleterre. Cela ne sert ni les enfants, ni leurs familles, ni les praticiens » déclare Annie Hudson, présidente du comité.
L’étude met en évidence toutes les « occasions manquées » par les équipes qui avaient la charge d’intervenir pour secourir les deux enfants, malgré de multiples avertissements de membres de la famille élargie attestant qu’ils étaient en danger. Elle souligne de « graves lacunes » dans les pratiques locales de la protection de l’enfance, qui refléteraient des faiblesses constatées au niveau national. Le rapport insiste sur le « manque d’expérience pour gérer des décisions complexes à haut risque », nécessitant un renforcement des dispositifs d’intervention.
La proposition phare qui en ressort tient à la création d’équipes spécialisées en protection de l’enfance dans un cadre pluridisciplinaire : des travailleurs sociaux, des experts en santé mentale, des policiers, des pédiatres et des psychologues superviseraient ensemble les cas alarmants.
Mis à l’index dans cette affaire, les travailleurs sociaux devraient au contraire bénéficier de soutiens accrus, plaide Harry Ferguson, professeur de travail social à l’université de Birmingham, dans une tribune publiée par le quotidien britannique The Guardian.
Car si le rapport met en lumière la mauvaise communication et la collaboration défaillante entre les différents professionnels impliqués dans ces deux drames, « il se confronte également à la réalité des conditions organisationnelles très difficiles dans lesquelles les travailleurs sociaux ont dû opérer, avec des postes vacants, une charge de travail élevée et un moral en berne. Le service de protection qui a travaillé [sur le cas de Star Hobson] était “dans la tourmente”. Et le travailleur social qui a effectué une visite cruciale au domicile familial était un intérimaire qui a quitté [la ville de Bradford] avant la fin de l’évaluation », rappelle-t-il.
Sans remettre en cause les préconisations du rapport, Harry Ferguson milite pour une amélioration de la condition des travailleurs sociaux et s’oppose à la recherche facile d’un bouc émissaire, alors que des professionnels du secteur, livrés à la vindicte publique, ont parfois été contraints de quitter leur domicile. « La principale façon de gérer ces réalités complexes est de leur fournir, ainsi qu’aux autres acteurs, une charge de travail gérable, la formation et le soutien de qualité dont ils ont besoin. […] Le gouvernement doit investir de l’argent et les praticiens trouveront le temps pour réfléchir et analyser leurs pratiques auprès des enfants en danger », conclut-il.
Une antienne résonnant familièrement d’un pays à l’autre qu’il serait temps d’entendre.