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Dans le quotidien des résidents de la Maison des Thermopyles

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Les 24 et 25 juin, les habitants de la Maison des Thermopyles ont célébré les dix ans de cette pension de famille un peu spéciale du XIVe arrondissement de Paris. Le lieu permet à des résidents précaires de retrouver une vie stable après un parcours difficile.

Il est 5 h 30. Le ciel dort encore en ce jour de mars. Thierry, 58 ans, soulève sa couverture grise et sort de son canapé-lit non déplié. Nul besoin d’une sonnerie stridente ou d’un rayon de soleil pour le réveiller. « J’ai grandi à la ferme, et depuis je me lève toujours tôt », lance-t-il. Abandonné tout petit par ses parents, l’homme aux cheveux désormais grisonnants est recueilli par une famille dans un petit village de l’Aube. « Il n’y avait que trois maisons », se souvient-il en préparant son premier café dans un coin de son studio. Sommairement meublé – deux plaques de cuisson, un évier et un réfrigérateur font office de cuisine –, son petit appartement fait partie des 17 logements imaginés fin 2003, lors de la création de l’association Pension de famille à Bauer-Thermopyles-Plaisance – aujourd’hui Maison des Thermopyles – par un collectif d’habitants du XIVe arrondissement pour accueillir des personnes en grande précarité. Singularité de cette pension de famille ? Il ne s’agit pas d’une solution temporaire où les habitants auraient l’esprit préoccupé par le lendemain. Ici, ils ont leur boîte aux lettres, Internet, leur appartement privé et peuvent rester jusqu’à la fin de leur vie.

Dans son « logement accompagné », Thierry poursuit le récit de son existence cabossée. A 15 ans, un accident de voiture emporte ses parents d’adoption, qu’il considérait comme les siens. Il doit donc changer de famille d’accueil. « Si j’avais pu vivre à la ferme toute ma vie, j’aurais été l’homme le plus heureux du monde », raconte-t-il en grattant sa barbe rugueuse. Puis, l’air rêveur, il avale une grande gorgée de son café et change de sujet. De la tête, il montre une photo : une femme brune, assise sur un sable doux, le fixe de ses yeux rieurs. « Elle, c’est l’amour de ma vie », lâche le locataire, la voix chaude.

Mina et Thierry se sont rencontrés en 1994. Après plusieurs années partagées sous le même toit, le couple se retrouve à la rue. « Oh, pas longtemps, onze ans seulement, précise Thierry, sans ironie. On a côtoyé un couple qui a vécu trente ans dehors, alors nous, à côté… » Malgré leur vie de sans-abri, Mina et Thierry vivent une idylle. « On avait notre rituel, se souvient Thierry dans un lumineux sourire. Au réveil, je lui faisais un petit bisou. On allait ensuite aux douches municipales avant de boire un café au tabac du coin. Et après, on s’occupait comme on pouvait. » En 2013, le couple arrive à la Maison des Thermopyles. « Je me le rappelle comme si c’était hier. C’était le jeudi 15 août. Mina était très heureuse », souligne-t-il. Mais, soudain, son visage rond s’assombrit. « Le 15 août 2021, Mina est partie à l’hôpital. Et deux jours plus tard… » Sa voix traîne, il bredouille. « C’est le cancer qui l’a emportée », murmure-t-il en attrapant ses clés pour filer nettoyer la tombe de sa compagne au cimetière.

Une fois sur le palier, une odeur de peinture acrylique vient titiller ses narines. Elle provient de l’appartement de Daisy, sa voisine immédiate. Cheveux courts poivre et sel, la locataire de 62 ans s’affaire sur une nouvelle toile. Comme en témoigne son sol parsemé de taches de couleur. Daisy peint deux tableaux par jour. « Comme Picasso ! », se félicite-t-elle, la voix fluette. Daisy s’est passionnée pour la peinture peu après son arrivée à la maison des Thermopyles, en 2012, l’année même de son ouverture. A l’époque, des rumeurs parviennent jusqu’à ses oreilles. « Des habitants du quartier ne voulaient pas de ce lieu par crainte qu’il amène des toxicomanes, des pédophiles… Ils nous imaginaient comme des gens peu fréquentables, dit-elle. Alors que nous sommes seulement des gens en grande précarité. »

« Un nouveau repère »

Dans cette pension de famille un peu spéciale, Daisy a pu retrouver une vie stable, entourée d’une directrice et d’un éducateur spécialisé, présents du lundi au vendredi. « Avant, je vivais avec un homme qui avait de l’emprise sur moi, confie-t-elle. Ici, j’ai retrouvé ma liberté. La maison est devenue mon nouveau repère. » En 2016, Daisy se lance dans l’exposition et la vente de ses œuvres. « C’est l’ancienne éducatrice qui m’a donné confiance en moi », reconnaît-elle, un léger sourire sur ses lèvres fines. Et l’artiste de compter sur ses doigts les résidents venus découvrir sa première exposition. « C’était un gros encouragement », se souvient-elle, avant de lâcher, dans un rire franc : « Bon, depuis, je n’ai vendu qu’une vingtaine de tableaux. » Daisy pourrait parler d’art et peindre pendant des heures dans son petit cocon du deuxième étage. « Ici, c’est mon antre. Mais j’ai aussi une vie en dehors », s’écrie-t-elle, en saisissant son sac à dos bleu azur. La porte de son appartement fermée, elle descend les escaliers et, au rez-de-chaussée, traverse la cuisine commune.

Dix ans pour un studio

Derrière la grande baie vitrée, la lumière du jour réchauffe son voisin Sreto. « Quel bonheur d’avoir un jardin ! », s’exclame cet ancien de la Légion étrangère, qui se laisse bercer, yeux mi-clos, par le sifflement des oiseaux. Agé de 67 ans, Sreto a rejoint la Maison des Thermopyles en 2015, après avoir passé quinze ans dans la rue, sous un pont. « J’ai attendu plus de dix ans pour obtenir un studio convenable, au XXIe siècle ! », peste-t-il de sa voix sépulcrale. Fronçant ses sourcils hirsutes, il poursuit : « J’ai préféré vivre comme au camping plutôt que de donner de l’argent à un marchand de sommeil. Nous aussi on a le droit de choisir notre logement. » Puis sa bouche se desserre et sa voix s’adoucit. Là, le résident coule des jours heureux : « J’habite dans un bon quartier, j’ai un médecin pas loin, je vais au cinéma. J’ai pu retrouver ma vie d’avant. » Même s’il ne perçoit qu’une petite retraite, il s’en sort pour payer le loyer, de moins de 250 € par mois.

Aux côtés de Sreto, dans le jardin, Daisy opine du bonnet. Elle, ce sont surtout les parties communes qui lui plaisent. « Elles m’ont redonné envie d’échanger avec les autres. J’arrive à tisser des liens plus facilement qu’avec ma propre famille », confie celle qui n’a plus de contact avec ses proches depuis plusieurs années. « Même pas un coup de fil pour la nouvelle année », souffle-t-elle. Pour compenser, Daisy participe à de nombreuses activités proposées par la Maison des Thermopyles. Il y a deux jours, elle a passé l’après-midi avec Marylène, 72 ans. Grosses bagues aux doigts, cheveux relevés en chignon et crâne rasé sur les côtés, cette éducatrice spécialisée à la retraite encadre bénévolement les résidents depuis deux ans. L’occasion pour elle, qui a toujours travaillé avec des adolescents, de découvrir les tracas des adultes. « C’est un lieu ouvert vers l’autre. Ils sont à la fois libres et encadrés. Un cadre que l’on ne retrouve pas dans la rue », analyse-t-elle, avec un accent marseillais prononcé, avant de désigner un tableau signé… Daisy. « Ses peintures sont devenues de plus en plus colorées avec le temps », pointe-t-elle.

En cette fin de matinée, le salon est moins animé. Seul Félix le chat, affalé sur sa chaise griffée, ronronne dans le silence. Le matou noir et blanc ne sursaute même pas lorsque Daisy claque la porte d’entrée. Comme tous les jours, elle part, le pas tranquille, au café du coin avant d’aller lire les journaux à la bibliothèque. Mais à peine a-t-elle franchi le seuil du troquet qu’un serveur en tablier noir la hèle : « Bonjour Daisy, un allongé, comme d’habitude ? » La cliente acquiesce et prend place sur une banquette rouge. Si la Maison des Thermopyles donne la possibilité aux résidents de se reconstruire grâce à l’accompagnement apporté et aux liens tissés entre eux, elle leur permet aussi de se sentir considérés et de retrouver leur place dans la société.

Vivre en communauté

Pas loin, Thierry revient du cimetière en claudiquant, à cause d’une opération de la hanche qui s’est mal passée. Rentré à la maison, il se laisse tomber sur une chaise haute de la cuisine commune, épuisé par le trajet (deux RER et un métro), et tire longuement sur sa cigarette électronique. « De nombreux voisins m’ont épaulé après le décès de ma compagne Mina », raconte-t-il, reconnaissant. Thierry n’est pas seul. La directrice et l’éducateur spécialisé l’aident dans ses démarches administratives. « Je ne sais même pas me servir d’un ordinateur ! avoue-t-il. Alors, tous les trois mois, je leur donne mes identifiants pour mettre ma situation à jour et percevoir ainsi le RSA. C’est rassurant de savoir qu’ils sont là pour nous. » Thierry devra bientôt déménager pour laisser le studio à un nouveau couple. « Mais je ne partirai jamais d’ici ! », lance-t-il d’une voix ferme. Un logement plus petit l’attend, à l’étage du dessous.

Panel des logements de l’Unafo

En France, de nombreuses structures accueillent et accompagnent des personnes en situation de vulnérabilité. L’Unafo (Union professionnelle du logement accompagné) comptabilise 900 résidences sociales, 400 pensions de famille, 160 foyers de jeunes travailleurs et 170 foyers de travailleurs migrants. Certains de ces logements accueillent temporairement le public quand d’autres permettent aux résidents d’y loger sur une longue durée.

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