Il a fallu cinquante ans à Perrine Merlin-Diatta pour pouvoir parler de son histoire. Une histoire d’abus sexuel commis par un père sur une petite fille débordante d’amour. Les trente premières années, elle les a passées à oublier, à enfouir au plus profond ce qu’elle a vécu. Puis un jour, le masque tombe, la carapace se fissure, le voile se déchire. Le temps est venu de lâcher prise et de panser ses blessures. « C’est le pire du pire de l’inceste couplé au déni des familles ; c’est l’enfer de l’enfant coincé dans un dilemme cornélien : choisir entre les affres, les dommages collatéraux sur le corps et l’esprit, les conséquences désastreuses de l’oubli et les ornières du chemin qui mène à la sortie du déni. Sortir du déni, c’est se mettre en face du désir éperdu d’appartenance, renoncer à la reconnaissance des siens, affronter l’abandon. » Le parcours est si difficile que l’autrice a même pensé que rien n’était jamais arrivé, qu’elle était folle. Devenue psychothérapeute, c’est elle qui accompagne aujourd’hui les victimes dévastées comme elle, les mères silencieuses ou complices, les familles incestueuses et les abuseurs. A travers son expérience et celle de ses patients, elle revient dans son livre sur les phénomènes de sidération, de dissociation, d’amnésie traumatique et d’emprise liés aux abus sexuels sur mineurs. Elle analyse aussi la dimension familiale de l’inceste avec l’attachement, l’amour, le clivage, le rôle des mères, la maltraitance intergénérationnelle, le silence, le renversement de la culpabilité… Le chapitre « Dans la peau de l’enfant abusé » aborde les stratégies de survie qu’il va mettre en place mais aussi la question du plaisir et de la honte. Un livre percutant. Mais peut-on pardonner jamais à son bourreau ? La thérapeute est prudente : « Lorsque le pardon est trop précoce, qu’il n’est pas la conséquence naturelle d’une récupération de soi, il risque fort de camoufler le déni et la minimisation des blessures. » Une chose est sûre : comprendre ne suffit pas à guérir.
« Inceste et déni, le couple infernal » – Perrine Merlin-Diatta – Ed. Chronique Sociale, 14,90 €.