La diversité contre l’égalité. Dans un maître ouvrage paru en France en 2009, intitulé La diversité contre l’égalité, l’universitaire étatsunien Walter Benn Michaels alertait sur la tentative en cours de dissoudre le combat égalitaire dans celui du combat « diversitaire », afin de mâtiner de « progressisme » la chute constante des budgets alloués aux différents combats pour l’égalité et la justice sociale. Dernier exemple en date de cette tendance mondiale, l’initiative du gouvernement de l’Etat du Queensland qui vient de publier un « plan d’action pour les communautés (aborigènes) locales afin de soutenir “l’autodétermination, l’égalité et la culture” pour les peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torres ».
Leanne Linard, la ministre de la Justice pour enfants et adolescents et des Affaires multiculturelles de cet Etat du nord-est de l’Australie, célèbre ainsi un « programme novateur de cheminement de carrière pour les peuples des Premières Nations ». Celui-ci prévoit de former une vingtaine d’étudiants aborigènes et insulaires du détroit de Torres, afin de venir eux-mêmes en aide, comme travailleurs sociaux dédiés à l’aide à l’enfance, aux populations aborigènes vivant dans l’Etat du Queensland.
Selon la ministre, ce plan, baptisé « Programme de progression de carrière autochtone » (PPCI), contribuera à augmenter au sein du ministère la part du personnel descendant des enfants des Premières Nations. Il fournira un soutien plus approprié sur le plan culturel aux familles et aux enfants : « Le PPCI offre des bourses au personnel du ministère pour obtenir le bon diplôme afin de devenir un travailleur social dédié à l’enfance. Il propose également des postes aux étudiants de dernière année en travail social et des stages aux étudiants qui suivent les cours liés aux services sociaux », insiste Leanne Linard. La ministre vante un cheminement de carrière qui, depuis 2015, a permis à « plus de 50 Aborigènes et insulaires du détroit de Torres d’obtenir les qualifications universitaires nécessaires pour trouver un travail en première ligne dans le secteur de la sécurité des enfants ». L’approche du gouvernement du Queensland est parfaitement assumée, « un examen du système de protection de l’enfance du Queensland [ayant] révélé que les besoins des familles et des enfants aborigènes et insulaires pourraient être mieux satisfaits du fait de l’origine aborigène des travailleurs sociaux eux-mêmes qui disposent ainsi de connaissances et d’une compréhension plus adaptées sur le plan culturel », ajoute une communication du ministère de Leanne Linard.
Ce programme intervient au moment où le gouvernement du Queensland lâche du lest sur les communautés autochtones de cet Etat, les plus importantes de ce pays. Elles devraient avoir davantage de poids sur les décisions en matière de santé, de logement, de même que sur la façon dont les enfants sont éduqués. Des comités, bien que purement consultatifs, doivent ainsi être nommés dans chaque communauté autochtone d’ici à deux ans pour « conseiller le gouvernement ».
L’approche « diversitaire » des autorités australiennes ne doit cependant pas masquer une politique systématique de discrimination des populations aborigènes, aussi violente que méconnue. Jusqu’à l’organisation d’un référendum en 1967, lequel reconnut l’existence officielle des peuples autochtones, l’apartheid en vigueur dans le pays n’avait rien à envier au « modèle » sud-africain. L’Etat du Queensland fut d’ailleurs le dernier à leur reconnaître le droit de vote, pourtant acquis au niveau fédéral dès 1962. Et jusqu’à cette fameuse consultation de 1967, les Aborigènes ne disposaient même pas des armes légales pour réclamer le simple versement de leurs salaires.