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En Mayenne, un enjeu de prévention

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Expérimenté depuis trois mois, le service d’accompagnement à la parentalité en Mayenne (SAP 53) chemine auprès des mères et des pères en situation de handicap mental pour accroître leur autonomie et fluidifier leurs relations avec les institutions du droit commun. Né d’un partenariat entre l’Adapei 53 et le Geist Mayenne, il permet de créer du lien dans un département touché par la désertification médico-sociale.

« Une chemise, deux shorts, un mail­lot de bain, trois robes… » Christian P. énumère les vêtements à acheter, lors de la prochaine virée shopping prévue avec sa fille de 8 ans. Une liste de pictogrammes colorés, à chaque fois associés à une quantité bien précise, lui permet d’anticiper ses dépenses et d’avoir un point d’appui pour ne pas se laisser dépasser par les éventuels caprices de la demoiselle. « Mon problème, c’est que je ne sais pas trop lui dire “non”. Et une fois dans le magasin, si je ne lui achète pas telle ou telle chose, elle fait sa petite crise. » Ne sachant ni lire ni écrire, ce papa est rassuré par le document illustré que vient de lui apporter Manon Durand, éducatrice spécialisée au sein du nouveau service d’accompagnement à la parentalité expérimenté en Mayenne depuis trois mois.

Si certains rendez-vous sont fixés dans les locaux du SAP 53, à Laval, les différents intervenants de cette équipe pluridisciplinaire se déplacent facilement aux quatre coins de ce département menacé par la désertification médico-sociale. Venir à domicile permet d’être davantage dans l’intime et de faciliter la vie de ces parents qui ne disposent généralement pas de permis de conduire. Dans son jardin joliment fleuri de Château-Gontier, situé à une trentaine de kilomètres du chef-lieu, ce père de famille reste un peu angoissé par les tâches quotidiennes et l’organisation du temps libre. Sans jamais se montrer directive, l’éducatrice l’aide à mettre à jour le tableau des prochaines activités et lui donne quelques idées de sorties.

Rien d’imposé

« Comme la plupart des parents que j’accompagne, ce papa a juste besoin d’outils concrets pour se projeter et mieux se repérer dans le temps. J’essaie de favoriser son autonomie, qu’il s’agisse des courriers de l’école ou de l’inscription de sa fille à des cours de théâtre. » Rien n’est imposé ni gravé dans le marbre. Les professionnels de ce nouveau dispositif – né d’un partenariat entre l’Adapei et le Geist (Groupe d’études pour l’inclusion sociale pour tous) Mayenne visant à mieux cibler les besoins spécifiques des parents en situation de handicap mental – n’assènent jamais de vérités. Les éducateurs spécialisés, l’éducatrice de jeunes enfants (EJE), la conseillère en économie sociale et familiale (CESF) ou encore la psychologue sont là pour susciter l’initiative et stimuler l’imaginaire de ceux qu’ils accompagnent. Actuellement, il s’agit de 9 familles, dont 15 enfants, pour la plupart identifiés grâce à l’expérience de deux associations au sein de leurs services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) respectifs.

« Avant la création de ce dispositif dédié, nous établissions déjà des diagnostics autour de cette problématique parentale, mais nous n’avions pas assez d’étayage ou de temps pour les suivre correctement et nous ne pouvions pas être sur tous les fronts », analyse Arnaud Lejas, responsable du SAP 53 et du SAVS Phare affilié au Geist. « Ces dernières années, nous avons constaté de plus en plus de situations de parentalité, alors qu’auparavant ce phénomène était plutôt à la marge. Il nous fallait une équipe plus spécialisée, notamment en petite enfance, et des rendez-vous plus adaptés à ces problématiques. Le tout dans une réelle optique de coordination avec l’existant, car on ne peut pas saucissonner les besoins de ces familles. Tout est lié, le logement, la mobilité, l’école ou encore les suivis médicaux. »

Prévue pour une durée de neuf mois et financée par le département, cette expérimentation s’inscrit dans une logique de prévention. En accompagnant ces parents au long cours, les professionnels du SAP parient sur leur capacité à déminer des situations potentiellement inquiétantes et à éviter certaines mesures d’aide éducative à domicile (AED) qui sont bien plus anxiogènes pour les familles. « Je dirais même que de nombreuses demandes d’AED étaient la seule solution et qu’elles venaient combler le manque de soutien que nous apportions depuis quelques mois », analyse Sophie Jagorel, éducatrice spécialisée. « Si notre service se pérennise, je pense que de nombreuses mesures d’AED pourraient prendre fin. Ce serait un vrai soulagement pour les parents parce qu’ils ne nous perçoivent pas du tout de la même manière que les professionnels de l’aide sociale à l’enfance. Nous avons une porte d’entrée plus fluide où le lien de confiance se tisse plus facilement. Parfois, quelques minutes au téléphone suffisent. »

Comme une concrétisation de cette aisance dans les échanges, de ce caractère informel des relations entre travailleurs sociaux du SAP 53 et parents en situation de déficience intellectuelle, Sophie Jagorel écoute sur son répondeur le message laissé par Corinne G., mère de trois enfants, dont les deux aînés sont issus d’une première union. Un peu nerveuse, elle explique avoir un rendez-vous important à la Maison des adolescents avec sa fille cadette, dont la scolarité est quelque peu chaotique ces derniers temps. L’éducatrice la rappelle, avec l’idée de la rassurer. D’emblée, la mère de famille lui parle de tout autre chose. « Mon grand m’a parlé hier soir. Il sait que je ne veux que son bien, même s’il y a des hauts et des bas. Nous sommes allés ensemble acheter un pantalon et une chemise pour ses entretiens de boulot… Il m’a dit qu’il aimerait passer plus de moments comme ça, seul avec moi. Je comprends que, même si mon fils a 19 ans, il a encore besoin d’attention de la part de sa maman. »

En raccrochant, l’éducatrice se félicite de cet échange. Même si son accompagnement concerne au départ le petit dernier, âgé de 7 ans, elle estime que cette famille a besoin d’une prise en charge plus globale, tenant compte de toutes les interactions entre frères et sœur, parents et enfants, ainsi qu’une aide parfois plus administrative. Le lendemain, rendez-vous est pris dans les locaux du SAP pour examiner de plus près une demande d’allocation à adresser à la Maison départementale de l’autonomie. Remplir des papiers et vérifier que toutes les pièces ont été versées au dossier permet souvent de libérer la parole, d’aborder « l’air de rien » des sujets un peu sensibles.

Un espace pour se raconter et relâcher la pression que les parents accompagnés peuvent également trouver auprès de Marion Bouvet. Psychologue clinicienne, elle travaille à temps partiel auprès de l’équipe éducative du SAP 53. « Lors de ces rencontres individuelles, ils peuvent se poser, réfléchir à leur rôle de parent, dire quelles sont leurs difficultés et ce qui se rejoue, peut-être, de leur propre histoire. » Selon le principe de la libre adhésion, sans notion de suivi mais avec une écoute de proximité, chacun a le choix de partager ce qui le tracasse à ce moment-là. Supports photos, graphiques illustrant les éléments que l’on peut ou non contrôler dans sa vie quotidienne, frise de couleurs pour appréhender son degré de violence… La praticienne use d’un certain nombre d’outils Falc (facile à lire et à comprendre) afin d’améliorer la compréhension et de rassurer.

Redonner confiance

Eprouver un manque de légitimité ou ne pas se sentir à la hauteur sont des sentiments partagés par la plupart des parents en situation de déficience intellectuelle. La peur de mal faire devient vite paralysante. Le SAP 53, même naissant, a déjà réussi à conforter certains d’entre eux dans leurs compétences et à rehausser leur confiance en eux. « Je pense à la maman de jumelles prématurées, âgées de 7 mois, que nous avions déjà commencé à suivre avec le SAVS, explique Sophie Jagorel. Elle est assez peu expressive, a du mal à montrer son affection et reste très passive. Notre EJE passe beaucoup de temps, à domicile ou dans des tiers-lieux, pour lui montrer comment stimuler ses bébés, comment contribuer à leur éveil. Même si cette jeune femme a parfois l’air insensible, elle aime ses filles et veut bien faire. Si l’accompagnement se poursuit, elle pourra sans doute se passer d’une partie des visites de la puéricultrice détachée par la protection maternelle et infantile. »

En marge de ces suivis très personnalisés, le SAP organise des événements collectifs pour favoriser les échanges entre familles, loin des tâches domestiques ou des questionnements angoissés. Dans quelques semaines, parents et professionnels se retrouveront par exemple autour d’un pique-nique dans une base de loisirs de la région. Par ailleurs, le LAPSH (lieu d’accueil pour parents en situation de handicap), financé par la CAF, hébergé et coordonné par les mêmes travailleurs sociaux, propose des ateliers créatifs intergénérationnels ainsi que des débats pour discuter de sujets parfois douloureux comme le placement d’un enfant ou les affres de l’adolescence.

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