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Des parents sous surveillance

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Le tabou de la parentalité des personnes déficientes intellectuelles ou souffrant de troubles psychiques se lève peu à peu depuis une vingtaine d’années. Si des structures d’accompagnement émergent pour appuyer leurs compétences, le suivi par la protection de l’enfance est parfois nécessaire pour compenser leurs difficultés.

Dangereux, incurables, irresponsables et incapables. Ces quatre grands préjugés ont longtemps entravé la possibilité pour les personnes en situation de handicap mental de devenir parents. Une présomption d’incompétence portée par leur entourage, les professionnels et la société tout entière, voire un rejet brutal – pour des adultes déficients intellectuels ou souffrant de troubles psychiques – de l’idée même d’un désir d’enfant. Si la réalité de cette parentalité reste tributaire de la gravité du handicap, les obstacles à sa concrétisation commencent à perdre du terrain. En partie, grâce aux représentations moins normées de la « famille idéale » et au mouvement de fond de l’inclusion. Mais surtout en vertu de la loi de 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté. Un texte décisif en termes de droit à la vie affective et sexuelle, ainsi qu’une porte d’entrée vers la maternité ou la paternité.

« Il y a vingt ans, l’idée prédominante était que l’adulte en situation de handicap ne pouvait pas avoir de vie de couple, d’autant que ses propres parents y étaient plutôt hostiles », souligne Emmanuel Henry, directeur d’un dispositif d’habitat non médicalisé au sein de l’Adapei 53 (Mayenne). « Certains ne comprennent toujours pas pourquoi on faciliterait la parentalité de leur fille ou de leur fils. Cette hypothèse les bouscule, parce qu’ils estiment que leur enfant n’est pas adulte. Mais la société évolue et, avec elle, ce sentiment pour les personnes en situation de handicap mental que devenir parent est possible. »

Parentalité à obstacles

Si l’émergence de la promotion des droits des personnes en situation de handicap a contribué à lever ce tabou, y compris au sein de la psychiatrie, Marie Koenig, psychologue clinicienne et responsable pédagogique chez Alfapsy (organisme de formation et de conseil en santé mentale et sociale), estime que les obstacles à cette parentalité restent nombreux. « J’ai travaillé pendant longtemps dans un service de psychiatrie adulte à l’hôpital public : les médecins préconisaient à leurs patientes de ne surtout pas tomber enceintes. Ils posaient cet interdit comme une contre-indication médicale. Il existe une plus grande considération des droits de personnes, y compris concernant la sexualité, mais le chemin est encore long. »

Ce champ des possibles étant désormais ouvert, la question se pose inévitablement des capacités et des compétences. En 2010, la création du Comité national de soutien à la parentalité plaçait avant tout l’obligation d’assurer le soin, le développement et l’éducation de l’enfant, quelle que soit la structure familiale. Ces exigences concernant également les personnes considérées comme vulnérables – le plus souvent sous tutelle ou sous curatelle – qui se retrouvent responsables d’un autre, dès lors qu’ils deviennent parents. Leur déficience intellectuelle ou leurs troubles psychiques ne les exonèrent pas d’un devoir de protection et de défense des intérêts de leur enfant.

Affiliée à l’Udapei, l’association Les Papillons blancs du Nord a été pionnière, vers 2000 lorsqu’elle a imaginé le premier service d’aide et d’accompagnement à la parentalité (Saap). Réparties dans tout le département, ces structures s’adressent aux parents ayant une notification d’orientation MDPH avec reconnaissance de la déficience intellectuelle et dont les enfants sont âgés de moins de 6 ans. Fondée sur la libre adhésion des personnes, la philosophie du Saap est de toujours partir des compétences des personnes accompagnées, de valoriser leurs savoir-faire et d’agir comme un outil de prévention. « Il n’y a pas si longtemps, pratiquement tous les enfants de parents déficients étaient placés. Désormais, il y en a très peu, c’est la preuve que notre accompagnement porte ses fruits », analyse Valérie Devestel, directrice des services des Papillons blancs à Roubaix-Tourcoing.

Parcours traumatiques

Educateurs spécialisés, éducatrices de jeunes enfants et psychologues interviennent le plus souvent au domicile des parents, mais aussi au fil de toutes les démarches vers les institutions du droit commun (protection maternelle et infantile, crèche, école). « Notre objectif est que le parent prenne confiance en ses capacités. Les personnes en situation de déficience se sentent souvent regardées, observées. Nous essayons d’apaiser ce stress en leur donnant des outils et des idées ainsi qu’en jouant un rôle de médiateur. »

Le profil des parents ainsi accompagnés diffère selon les territoires et les époques. A Mulhouse (Haut-Rhin), lorsque l’association Marguerite-Sinclair a ouvert en 2014 son lieu d’accueil enfants-parents (LAEP) baptisé Capucine, il s’agissait principalement de personnes en situation de déficience intellectuelle. « Peu à peu, nous nous sommes ouverts aux habitants de la cité et nous avons commencé à rencontrer d’autres types de parents, davantage concernés par les troubles psy, avec de grandes fragilités, analyse Elise Margraff, cheffe du service parentalité. Cette évolution est la même que celle de la population générale : le public cumule de plus en plus des problématiques sociales, économiques et psychiatriques. Ces parents ont souvent eu eux-mêmes des parcours de vie très traumatiques. »

Trois fois par semaine, Capucine leur permet d’échanger librement, avec des pairs confrontés aux mêmes problèmes du quotidien, sans engagement, ni inscription. « Ils sont souvent très isolés et n’ont ni les ressources ni l’entourage pour trouver eux-mêmes les solutions qui les aideront dans l’éducation de leurs enfants », reprend Elise Margraff. Sommeil des petits, organisation de la journée ou du temps libre, horaires des biberons, bains… Si les thèmes abordés sont universels, ils sont vécus avec davantage d’inquiétude. « Nous sommes présents en soutien, de manière non interventionniste, pour appuyer des parents qui ne se sentent pas légitimes. Ils se revalorisent grâce à la pair-aidance. »

Le handicap mental engendre souvent beaucoup d’inhibitions, le sentiment a priori de ne pas savoir faire ou le manque d’anticipation des besoins. Prévoir, s’adapter, se projeter sont les plus grands défis, ainsi que vaincre la fatigabilité, gérer ses émotions ou encore mener de front plusieurs choses à la fois et se repérer dans le temps.

L’enjeu pour les professionnels, en partenariat avec le réseau institutionnel, médical et familial, est alors de trouver des compensations au handicap, le bien-être de l’enfant restant au cœur des préoccupations. « Cela passe par la posture, les entretiens et surtout les actes concrets. Nous faisons avec eux en proposant des rituels, en donnant des astuces, parce que souvent la déficience rend l’élaboration compliquée. Le parent va pouvoir s’en saisir et les tester », précise Elise Margraff.

Bien-être de l’enfant

Ces différents services d’accompagnement à la parentalité – assez récents dans le champ du médico-social et encore inexistants dans de nombreuses régions – sont composés d’équipes pluridisciplinaires éducatives ainsi que de psychologues, qui permettent un étayage au plus près des attentes de ces familles. Ils se conjuguent la plupart du temps avec d’autres types d’intervention, comme les services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah).

« Si, à une époque, on ne voulait pas voir ce type de parentalité, aujourd’hui ces parents sont sur­accompagnés », remarque néanmoins Laure Carpentey, responsable au sein du nouveau service d’accompagnement à la parentalité pour les personnes en situation de handicap (Sapph) de Gironde. « Ils subissent trop de sollicitations et trop d’intervenants, complète Laure Carpentey. C’est une certaine dérive de notre pratique, alors que nous sommes confrontés à des personnes particulièrement fatigables. Cette hypervigilance de la part des travailleurs sociaux, née de la peur des carences éducatives ou des défauts de soins, entraîne une trop forte attente, comme si ces parents devaient être parfaits. Tout est repéré, questionné et source d’inquiétude. »

Aussi précieux soit-il, cet accompagnement à la parentalité ne suffit pourtant pas toujours, et certains parents font l’objet de mesures inscrites dans le cadre de la protection de l’enfance. Si toutes les familles ne sont, bien évidemment, pas suivies par l’aide sociale à l’enfance (ASE), le handicap mental est d’entrée de jeu un critère de vigilance pour les partenaires de proximité (maternité, protection maternelle et infantile). « Je pense à une maman qui a un handicap psychique assez important, élève seule son petit garçon et travaille en Esat », explique Rachida Chouider, éducatrice spécialisée au sein de la Fondation Olga Spitzer, qui intervient dans le cadre d’une mesure d’aide éducative à domicile (AED). « Elle n’est pas dangereuse pour son fils, mais on doit rester sur le qui-vive parce que son handicap l’empêche de montrer ses sentiments. Par ailleurs, le téléphone portable est omniprésent, elle va chercher son enfant à l’école dans une tenue inappropriée et laisse la nourriture pourrir dans le frigo… On essaie de mettre en place l’étayage nécessaire pour que cette maman puisse assurer sa parentalité en toute sécurité pour l’enfant, mais ce n’est pas évident. »

Peur du placement

Un cas de figure qui illustre bien les débats et les doutes susceptibles de traverser les équipes éducatives : doit-on laisser grandir ce petit garçon auprès d’une mère aimante mais qui ne le stimule pas assez, ou faut-il un placement, peut-être temporaire, pour éviter des retards de développement ? « Notre curseur est l’intérêt de l’enfant », précise Aurélie Péchiné, cheffe du service d’AED de la fondation parisienne. « Jusqu’à quand son intérêt sera-t-il de grandir auprès de sa maman, d’autant qu’il y a de l’affection, en dépit des retards de langage… Jusqu’à quand la balance bénéfice-risque penchera-t-elle du côté du maintien de l’enfant à domicile ? Ces situations de handicap ne sont pas claires et tranchées, il y a toujours débat. »

La nécessité de prendre en compte le contexte de chaque famille est d’autant plus aigüe pour Sophie Guillas-Perrot, leur collègue du service d’AEMO (action éducative en milieu ouvert), que les mesures éducatives qu’elle suit sont ordonnées par le juge des enfants. Face à des parents déficients ou souffrant de troubles psychiques comme la schizophrénie ou la bipolarité, le double objectif reste la protection de l’enfant et le soutien de l’adulte dans l’exercice de sa parentalité. « La grande difficulté vient des parents qui ne sont pas diagnostiqués ou qui n’ont pas conscience de leur pathologie. Il faut arriver à tisser des liens de confiance avec des personnes qui ont très peur de l’institution et du risque de placement. Certains se sentent très persécutés. »

Cependant, en l’absence de données statistiques, nombreux sont les professionnels à reconnaître l’augmentation du nombre d’enfants suivis par la protection de l’enfance dont les parents présentent des troubles psychiques. La précarité grandissante et la fermeture des lits en psychiatrie n’y sont pas étrangères. « On a beaucoup de parents très abîmés et qui ne sont pas suivis », reconnaît Sophie Latournerie, directrice de la Mecs (maison d’enfants à caractère social) Clair Logis, dans le XVIIIe arrondissement de Paris, qui accueille essentiellement des fratries. « Une fois qu’une famille est entrée dans le giron de l’ASE, il est extrêmement difficile d’en sortir, d’autant plus pour des parents qui sont empêchés par leurs troubles. Davantage que les autres, ils sont soumis aux lunettes à triple foyer que nous, professionnels, mettons pour scruter leurs moindres faits et gestes. La moindre erreur peut être fatale en termes de restrictions de droits. Dans l’ensemble, ces enfants ne retournent pas chez eux. »

Même si de plus en plus d’acteurs du champ médico-social ou du droit commun sont sensibilisés à la parentalité des personnes en situation de handicap mental, sa récente visibilité nécessite encore un effort de formation auprès des professionnels. A ce titre, l’organisme Alfapsy élabore un nouveau module consacré à cette problématique. Il est co-construit par des experts et une pair-formatrice ayant à la fois l’expérience de la parentalité et du trouble psychique. Par ailleurs, de nombreux services d’accompagnement et de soutien à la parentalité sont également des plateformes ressource, notamment à travers des outils très pratiques comme des documents Falc (faciles à lire et à comprendre) ou des activités en immersion avec les familles.

Les lois fondatrices

La loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale affirmait le droit au respect de la dignité, de l’intégrité, de la vie privée et de l’intimité des personnes accompagnées par un établissement ou un service social ou médico-social. Un texte qui incite par ailleurs les établissements à favoriser le développement et l’autonomie des personnes en fonction de leurs capacités, besoins et âge. Ces droits ont été réaffirmés par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Elle énonçait notamment le principe du droit à compensation du handicap et l’obligation de solidarité de l’ensemble de la société à l’égard des personnes handicapées. Elle a impulsé l’idée que la société devait s’organiser autour du projet de vie des personnes en situation de handicap en termes d’accessibilité, de droit à l’école et de non-discrimination au travail. Par extension, cette loi a également fait bouger les lignes en matière de droit à la vie affective et sexuelle. Depuis le 1er janvier 2021, les parents en situation de handicap ont droit à une nouvelle aide : la prestation de compensation du handicap (PCH) parentalité. Elle se compose d’une aide humaine à la parentalité – permettant au parent de rémunérer quelqu’un pour l’aider à s’occuper de son enfant – et d’une aide technique à la parentalité donnant les moyens de s’acheter du matériel adapté.

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