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« Ces femmes sont soumises à un interdit de procréation très fort »

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Auparavant psychologue dans un établissement médico-social, aujourd’hui doctorante universitaire, Estelle Veyron La Croix mène une recherche de terrain sur le thème « handicap mental et procréation ». A travers une centaine d’entretiens menés auprès de professionnels et des résidents de foyers pour adultes handicapés, la chercheuse pointe leur parentalité rendue impossible.
Comment est pris en considération l’accès à la parentalité des personnes en situation de handicap mental institutionnalisées ?

Qu’elles vivent en foyer de vie, en foyer d’accueil médicalisé ou en foyer d’hébergement, ces personnes ayant un parcours institutionnel très important, depuis parfois leur plus jeune âge, n’ont que très peu d’espace pour évoquer leur désir d’enfants et, a fortiori, la procréation. C’est un mode de socialisation très spécifique, en vase clos, où un grand nombre de professionnels pluridisciplinaires ont tous un avis sur la question de leur sexualité et de l’accès à la parentalité, ce qui va forcément les influencer. Cela reste un vrai tabou. Les femmes sont soumises à un interdit de procréation très fort.

Pourquoi vous êtes-vous surtout intéressée aux femmes déficientes intellectuelles ?

Parce que c’est une population qui est un peu laissée pour compte. Et aussi parce que ce sont quasi uniquement elles qui sont visées par les problématiques liées à la procréation et à la contraception. Dans ces structures, les femmes que j’ai rencontrées ont toutes été mises sous contraceptif de manière obligatoire. Les travailleurs sociaux tiennent un discours plus ou moins autoritaire, mais finissent toujours par leur dire qu’il faut prendre la pilule pour être admise dans le foyer.

Comment les obliger à prendre la pilule ?

Il y a plusieurs types de stratégies mises en œuvre par les professionnels, mais, quoi qu’il arrive, lorsque ces femmes ont accepté de prendre un contraceptif, il est impossible de revenir en arrière. Cette obligation est posée dès leur admission. En raison de leur jeune âge, elles acceptent parce qu’elles n’ont pas, à ce moment-là, un désir d’enfants. C’est aussi un moment de grande vulnérabilité : il est très difficile d’avoir une place dans un établissement pour adultes, sans compter que, souvent, leurs parents sont présents lors des réunions où cette question va être abordée. Même les femmes qui choisissent de ne pas avoir de vie sexuelle sont obligées de prendre une contraception, parce que les institutions craignent les grossesses non désirées qui pourraient être issues de viols. La pilule est une forme de contrôle institutionnel, quotidien et très contraignant. Il faut se présenter à l’infirmière, à une heure précise, devant tout le monde. Celles qui veulent arrêter la pilule, au-delà d’une éventuelle envie d’enfants, cherchent parfois juste à sortir de cette emprise.

Le désir d’enfants peut-il quand même s’exprimer entre ces murs ?

La grande majorité de ces femmes disent vouloir un bébé, construire une famille. Certaines souhaitent correspondre aux normes familiales et aux valeurs sociétales. Elles sont à la fois touchées par les injonctions sociales à la maternité et soumises à des discours totalement contradictoires qui les amènent à renoncer. Les professionnels que j’ai rencontrés sont eux aussi partagés, entre leur éthique personnelle, leur déontologie, et l’absence de solutions pour accompagner ces femmes si jamais elles menaient réellement à bien leur projet d’enfants. Il n’y a aucune structure pour les accompagner, l’établissement dans lequel elles se trouvent n’ayant pas d’agrément ni de dispositif pour accueillir des familles. J’ai par ailleurs entendu des témoignages de femmes qui ont souhaité avoir un enfant, sont tombées enceintes volontairement et ont subi des avortements forcés par leurs familles. Il y a aussi une autre résidente qui avait clairement exprimé son désir d’enfants : le médecin lui a posé un implant de force. C’est quand même un contexte violent, où aucune des résidentes rencontrées n’a pu mener à bien son projet parental.

Quels sont les arguments pour les amener à renoncer à la maternité ?

Certains professionnels vont dire : « Tu n’es déjà pas capable de faire telle tâche, est-ce-que tu penses vraiment que tu serais capable d’élever un enfant ? » Ils utilisent aussi des éléments observés au quotidien, des difficultés inhérentes au handicap de la personne, pour l’amener à se dire qu’elle ne pourra pas être une bonne mère. Cela provoque chez ces femmes un sentiment d’échec et de grande tristesse. Parfois, elles vont essayer de tout mettre en œuvre pour lutter contre leur handicap, entraînant une réelle haine de soi et une situation insoluble. Le handicap n’est pas quelque chose qu’elles vont pouvoir résoudre. Enfin, des discours un peu plus indirects leur rétorquent : « J’entends ton envie d’enfant, mais regarde où tu habites. Est-ce-que tu penses que ce serait bien d’avoir un enfant ici ? De toute façon, cet établissement ne pourrait pas l’accueillir, il faudrait que tu en trouves un autre. » Or il n’en existe pas.

Les établissements étant mixtes, ce désir d’enfants s’inscrit-il dans une relation amoureuse ?

Parfois oui, mais le fait de vivre en couple est extrêmement difficile dans ce type d’établissements. Même si les professionnels essaient de rendre possible la vie affective, le spectre de la grossesse pèse sur les relations sociales, qui sont extrêmement contrôlées par l’institution. Tout comme le corps des femmes, au-delà même de la contraception. Leur apparence et leurs déplacements sont beaucoup plus soumis aux jugements et aux interdits que ceux des hommes. Elles ne doivent pas être trop provocatrices parce que cela pourrait susciter des envies chez les hommes, ce qui pourrait entraîner des agressions sexuelles ou une frustration, elle-même source potentielle de violences.

A-t-on eu recours, en France, à la stérilisation ?

Même si on ne connaît pas le nombre de personnes stérilisées, cette pratique semble avoir été maintenue dans certains établissements, au moins jusque dans les années 2000. Il reste un grand flou sur ce sujet. Récemment, en 2020, un texte a enfin modifié la loi sur les stérilisations à visée contraceptive, interdisant formellement la ligature des trompes sur une personne majeure en situation de déficience intellectuelle. Mais pour les femmes qui ont aujourd’hui une cinquantaine d’années, certaines ont été stérilisées et ne sont peut-être même pas au courant. A aucun moment, elles n’ont reçu d’excuses publiques, ce qui les empêche de se réapproprier cette histoire-là.

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