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Une équation à multiples inconnues

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Une équation à multiples inconnues

Crédit photo Rémi Barbet
Du 15 au 17 juin, se tiennent au Touquet (Pas-de-Calais) les assises annuelles du Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert (Cnaemo). Pour cette 42e édition, la thématique abordée sera celle du « pouvoir d’agir des personnes accompagnées » : vingt ans après la loi du 2 janvier 2002, la question de la participation des personnes accompagnées mérite un bilan. Si la législation a fait évoluer les pratiques, celles-ci restent très variées selon les territoires.

Voilà vingt ans que la loi n° 2002-2, vouée à « replacer l’usager au cœur du dispositif », a été promulguée. Dans sa suite, les impératifs légaux et administratifs se sont multipliés pour les tra­vailleurs sociaux : document individuel de prise en charge (DIPC), projet pour l’enfant (PPE), conseils de la vie sociale (CVS). Les lois de 2007 puis de 2016 réformant la protection de l’enfance affichaient également cette ambition commune de favoriser le pouvoir d’agir des enfants durant leur parcours au sein de l’aide sociale à l’enfance (ASE).

Mais ces multiples outils imposés aux travailleurs sociaux parviennent-ils à garantir la participation des enfants et des parents dans les mesures éducatives dont-ils font l’objet ? Dans sa dernière enquête en date de 2018, la Drees estimait à 355 000 le nombre d’enfants actuellement pris en charge par l’ASE. Parmi eux, 53 % étaient placés en institution ou en famille d’accueil et 47 % suivis dans le cadre d’une mesure d’aide éducative en en milieu ouvert (AEMO).

Afin de garantir la prise en compte de la parole de chacun de ces enfants et de leurs parents, le projet pour l’enfant avait été pensé comme un élément central du dispositif de protection de l’enfance. Son objectif : permettre une « construction commune entre les titulaires de l’autorité parentale, l’enfant, les tiers impliqués dans sa vie, les services départementaux et, le cas échéant, le service ou l’établissement auquel le juge a confié la mesure », selon l’article D. 223-13 du code de l’action sociale et des familles.

Dès sa création en 2007, le PPE devait être, selon les termes de Fabienne Quiriau, à l’époque conseillère technique de Philippe Bas, ministre délégué chargé de la réforme, et aujourd’hui directrice de la Convention nationale des associations de protection de l’enfance (Cnape) : « La disposition la plus emblématique et la plus forte de la loi au regard de ce qu’il pouvait amener dans le travail avec les familles, l’enfant et les autres services (…) pour déterminer ce que l’on allait faire ensemble et comment on allait suivre l’enfant. » Or, près de quinze ans plus tard, l’application de cet article de loi s’avère toujours très contrastée à l’échelle nationale.

C’est ce qu’explique Salvatore Stella, actuel président du Cnaemo (Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert), pour qui la question du pouvoir d’agir des usagers est plus que jamais d’actualité : « Dans l’absolu, le PPE est un outil intéressant pour initier la participation de l’usager et de ses parents. Dans les faits, pour grossir le trait, il y a 101 départements et autant de manières de l’appliquer, en raison des moyens très inégaux mis en œuvre par les départements. » Initialement déléguée aux référents de parcours à l’ASE, l’application du PPE se heurte aux difficultés systémiques de l’institution.

Recueillir la parole et les aspirations personnelles d’un enfant ou d’un adolescent nécessite d’établir une relation de confiance. Or cette dernière ne peut se nouer dans l’urgence. Elle prend racine dans le temps long et son émergence est conditionnée à la disponibilité des éducateurs qui accompagnent l’enfant, qu’ils travaillent pour la structure accueillante ou comme référents de parcours à l’ASE. En définitive, comme le souligne Patrick Rabayrolle, chef du service d’AEMO renforcée de l’Association nationale de recherche et d’action solidaire (Anras) à Toulouse, la participation des usagers demeure une question de relation éducative et non pas seulement de documents administratifs. « Le nerf de la guerre reste le même, c’est l’humain. Le premier facteur qui freine non seulement la mise en place effective du PPE mais aussi l’empowerment des enfants en général, c’est l’engorgement de l’ASE et l’urgence des situations. »

De fortes inégalités territoriales

Educateur et président de la Fédération nationale des lieux de vie et d’accueil (FNLV), Christian Borie qualifie pour sa part de « jeu de dupes » la participation des enfants au sein de l’ASE. Pour ce professionnel qui exerce depuis quarante ans, ce constat sévère s’explique par le manque de places chronique dans les structures d’accueil des départements. « Aujourd’hui, en France, on ne demande pas leur avis aux enfants, et même si tel est le cas, le manque de places empêche la prise en compte de ce choix. Par définition, ils se retrouvent là où il y a de la disponibilité », résume-t-il de manière lapidaire.

Le pouvoir d’agir des usagers est directement dépendant du champ des possibles qui s’ouvre à eux. Ainsi, garantir une plus grande participation des enfants et de leurs parents doit inévitablement être synonyme « d’augmentation du panel des lieux d’accueil ». Pour ce faire, Christian Borie insiste sur la nécessité de recruter davantage d’assistants familiaux et d’attribuer de nouvelles autorisations d’ouverture de lieux de vie afin de désengorger les plus grandes structures d’accueil comme les Mecs (maisons d’enfants à caractère social) et les foyers pour adolescents. « Le pouvoir d’agir est morcelé sur le territoire. Donnez-moi votre adresse et je vous dirai quels sont vos droits », analyse amèrement l’éducateur du lieu de vie La Porte ouverte, dans le département du Lot.

Ces disparités ne constituent toutefois pas une fatalité. En Haute-Garonne par exemple, le PPE n’est pas encore mis en place par le département pour les services de milieu ouvert. Néanmoins, pour garantir la participation des enfants et des parents, le service d’AEMO renforcée dirigé par Patrick Rabayrolle a tenu à créer en interne un document baptisé « projet personnel d’accompagnement » (PPA). « Notre souhait est de pouvoir faire participer les familles aux temps institutionnels qui les concernent, c’est-à-dire les évaluations, les synthèses et les temps d’élaboration du projet », explique le chef de service.

Il précise toutefois que cette disponibilité accrue pour les familles est possible du fait du nombre limité de mesures que suit un éducateur d’AEMO renforcée : 13 au maximum, contre 29 pour un service d’AEMO classique. L’exercice du pouvoir d’agir des personnes accompagnées dépend grandement d’une « volonté institutionnelle et associative forte » d’inclure les personnes accompagnées, souligne Patrick Rabayrolle.

Si les pratiques en matière de pouvoir d’agir des enfants peinent à s’harmoniser et dépendent des moyens alloués au secteur de la protection de l’enfance par les départements, de nombreux professionnels reconnaissent que les orientations légales des vingt dernières années ont insufflé un changement de mentalité chez les travailleurs sociaux. C’est le cas d’Isabelle Pillard, éducatrice depuis vingt-trois ans dans le service parisien de prévention et de protection de l’enfance de l’Association Olga-Spitzer.

Évolution des mentalités

Cette professionnelle reconnaît qu’il existe « un avant et un après loi 2002-2 ». Désormais, avant d’envisager un éloignement ou à une mesure de placement, les équipes s’orientent davantage vers l’entourage et la famille élargie du jeune accompagné. « On réfléchit autrement. On explore davantage l’environnement familial et de quartier du jeune pour trouver des relais et des personnes ressources », indique la professionnelle, également déléguée nationale du Cnaemo en Ile-de-France.

Le secteur de la protection de l’enfance mute peu à peu et un changement de paradigme s’observe. « Au fil du temps, nous avons évolué d’une position de détenteur de savoir vers une posture de co-construction. L’objectif est de faire émerger les compétences parentales », analyse Isabelle Pillard. Même son de cloche chez Patrick Rabayrolle, qui rappelle qu’« une plus grande prise en compte du pouvoir d’agir des personnes relève aussi du renouvellement des générations de travailleurs sociaux ».

Ainsi, la formation et les approches éducatives diffusées dans les centres de formation font partie intégrante du processus d’empowerment des usagers. Si la loi vient encadrer et orienter les pratiques, ces dernières s’enrichissent au gré des expériences associatives et des renouvellements de projets de services.

L’âge des personnes accompagnées est également un facteur central de la participation en matière de capacités d’élaboration et de verbalisation des difficultés et aspirations. Cette variable nécessite un ajustement constant des professionnels. « Pour le DIPC et le PPE, les enfants participent à partir de la préadolescence, vers 10 ans. Pour la petite enfance, on s’inscrit davantage dans de la guidance parentale », explique Isabelle Pillard.

Favoriser les petites unités

Le 5 janvier 2022, Gautier Arnaud-Melchiorre, ancien enfant placé mandaté par le secrétaire d’Etat à la protection de l’enfance, Adrien Taquet, pour « recueillir la parole des enfants placés », avait remis son rapport au ministère des Solidarités et de la Santé. Intitulé « A (h)auteur d’enfants », celui-ci propose une « photographie » de l’ASE à l’échelle nationale. Dans ses recommandations, le rapporteur soulignait l’importance de « développer de petites unités de vie qui, tel un cercle vertueux, auraient un effet positif sur le bien-être des enfants et les conditions de travail des professionnels ». Et de poursuivre que « cette demande fortement exprimée par les enfants requiert d’être portée politiquement ».

Les professionnels de la protection de l’enfance s’accordent sur l’importance d’accueillir les usagers sur de petits effectifs. Le nombre d’enfants accueillis tout comme la stabilité du groupe impactent fortement la libération de la parole. Christian Borie partage ce constat : le lieu de vie où il exerce accueille au maximum six enfants ou adolescents sur une unité. Dans ce contexte, il est inutile selon lui de mettre en place des instances officielles telles que les conseils de vie sociale (CVS). « On se parle tout simplement. Les échanges sur les conditions de vie et l’organisation du lieu se font autour de moments de convivialité comme ceux du repas. On partage comme dans une famille », assure le directeur de la FNLV.

Un collectif restreint est une des conditions sine qua non pour « garantir l’exercice du pouvoir d’agir », poursuit-il. Plus que jamais, à l’heure de l’accumulation des documents administratifs et autres procédures, cette spontanéité apparaît essentielle pour faire émerger la parole des enfants confiés à l’ASE mais aussi pour lutter contre la stigmatisation dont ils sont victimes. « Tous ces documents viennent renforcer le stigmate des enfants placés. Avec eux, la spontanéité s’efface et laisse place à une relation régie par des cases et des signatures. C’est regrettable », juge Christian Borie, déplorant une « institutionnalisation de la relation » qui bride la parole des usagers.

Recueillir la parole avant l’audience

L’évaluation d’une situation avant l’audience en assistance éducative est un moment charnière, tant pour les usagers que pour les éducateurs. Garantir la participation des enfants et des parents durant ce laps de temps restreint est essentiel puisque les observations du professionnel influeront sur les préconisations qu’il fera au juge des enfants dans son rapport. Educatrice au sein du service mobile d’accueil d’urgence et d’évaluation (SMAUE) dans le département du Puy-de-Dôme, Pauline Soule pointe la nécessité de susciter la participation des personnes accompagnées : « La mission du service consiste à recueillir la parole de chacun pour que le juge puisse se positionner sans en rester aux éléments de l’information préoccupante ou de l’ordonnance provisoire de placement. » Pour retranscrire au mieux cette parole, la professionnelle insiste sur l’importance de la contextualisation. « Il faut décrire le plus fidèlement possible les éléments, relater le récit de vie et, surtout, préciser dans quel contexte la parole s’est exprimée. Qui était présent, dans quel lieu, à quel moment ? Tous ces éléments sont essentiels car notre analyse pèse le jour de l’audience », analyse la professionnelle.

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