On a opté pour ce thème pour plusieurs raisons. Premièrement, en tant qu’entité, nous arrivons à un carrefour. Une assemblée générale extraordinaire va se tenir durant nos assises, avec l’objectif de modifier les statuts du Cnaemo pour permettre à des usagers ou à des représentants de personnes accompagnées d’intégrer le conseil d’administration. Ainsi, parents, enfants ou ex-enfants pris en charge pourront prendre part aux décisions et orientations de l’organisation. On souhaite s’inscrire dans une démarche globale dans laquelle nous, mouvement ou fédération, avons un exemple à montrer à nos adhérents. Deuxièmement, nous considérons qu’aujourd’hui, en France, on n’est pas encore arrivé à une situation où les usagers exercent pleinement leur pouvoir d’agir. Nous voulons aller plus loin que les notions de « faire avec » ou de « co-construction ». Il faut atteindre une situation de pleine collaboration et donner une place à part entière à chacun. Evidemment, il y a eu des avancées majeures depuis vingt ans et l’instauration de la loi 2002-2, mais nous pensons qu’il faut sortir de l’entre-soi et aller encore plus loin.
A titre individuel, j’ai mis en place depuis 2015 dans les services que je dirige, en partenariat avec l’ONG ATD quart monde, des séances de co-formation où des professionnels et des parents participent à des formations communes pour tenter de mieux se comprendre et de construire un socle commun de connaissance, principalement sur des notions sémantiques. Actuellement, nous animons également ce que l’on nomme des « conférences jeunes » ou « conférences familiales ». Ce sont des espaces dans lesquels tout l’environnement familial et amical du jeune accompagné – ou, tout du moins, toutes les personnes de confiance de son choix – est réuni pour aborder une problématique en lien avec sa situation. L’objectif est que les participants élaborent des propositions sans que celles-ci émanent des seuls professionnels. On recherche l’implication de toutes les personnes ressources qui gravitent autour de l’enfant.
Le livre que j’ai codirigé sur le sujet fait suite à une étude menée par le conseil scientifique du Cnaemo sur les formes multiples que prend désormais la parentalité. Monoparentalité, grande parentalité, homoparentalité, parentalité empêchée (lorsqu’un parent est en prison)… Les formes des cellules familiales sont nombreuses dans nos sociétés contemporaines. La parentalité est en mouvement. Par exemple, le numérique impacte considérablement l’exercice du rôle de parent et la crise du Covid a mis en exergue cette réalité. Aujourd’hui, les outils numériques permettent à un enfant et à son parent de continuer à échanger, à « relationner » – que ce soit en positif ou en négatif ] – sur les réseaux sociaux, malgré l’injonction d’un juge des enfants. Le travail que les professionnels doivent exercer sur le lien parent-enfant en est grandement impacté. La parentalité mute, c’est pourquoi les travailleurs sociaux doivent se saisir de ces outils et de leurs usages. C’est un enjeu majeur. On ne peut pas considérer qu’il y a un monde virtuel d’un côté, et un monde réel de l’autre. Ces deux mondes communiquent, ils ne sont pas étanches et les professionnels doivent apprendre à évoluer en leur sein pour accompagner les parents et renforcer leurs compétences parentales.
En réalité, la notion clé, c’est celle de personnes ressources ou, plutôt, de personnes de confiance. Et celles-ci ne doivent pas être désignées par les professionnels, mais par les personnes accompagnées. A titre d’exemple, à la suite des coformations que nous avons réalisées, nous avons retravaillé tous les courriers de rendez-vous que nous pouvons envoyer aux jeunes accompagnés et aux familles. Il est désormais inscrit : « Vous pouvez venir accompagner de la personne de confiance de votre choix. » Ainsi, d’entrée de jeu, il est signifié aux usagers qu’ils peuvent choisir en qui ils ont confiance pour participer à leur prise en charge. Ce qui est théoriquement possible depuis les années 1980. Certains le font, d’autres non, mais la porte est ouverte et les jeunes peuvent s’en saisir. On prône ce changement de mentalité, nous ne sommes pas des experts qui dispensent un savoir. Ce n’est pas au professionnel de désigner la place que chacun doit occuper, mais bien aux personnes ressources et aux usagers.
Ce phénomène peut exister. Ce sera d’ailleurs un des thèmes abordés lors des assises. Dès le départ, le service d’AEMO [action éducative en milieu ouvert] ou de placement doit créer les conditions pour que les parents aient envie de participer, sans se sentir obligés de s’impliquer. Il faut co-élaborer dès le début de la prise en charge pour définir quelle place les parents ou les proches souhaitent occuper. Garantir le pouvoir d’agir se traduit par la possibilité de participer, aucunement par l’injonction. La participation ne se décrète pas. C’est pourquoi, avant d’instaurer les séances de coformations et les conférences familiales au sein de notre service, nous avons réécrit les projets de service en collaboration avec les parents. Il leur était possible de participer au groupe de travail en amont de la rédaction. Le postulat de départ que chaque travailleur social doit adopter, c’est que les parents ont des choses à nous dire. Comment ont-ils vécu l’accueil, comment comprennent-ils les missions du service, comment se sentent-ils considérés ?
Le PPE est appliqué de manière très disparate sur le territoire national. Les départements ne s’en saisissent pas de la même manière. Il revêt parfois un rôle purement administratif. Dans certains cas, il est délégué aux associations ; dans d’autres, il sert d’appui éducatif aux référents ASE [aide sociale à l’enfance). Malheureusement, la prise en compte de la parole des usagers et les outils mis en place pour la recueillir sont très disparates.
C’est malheureusement le cas. Et ce n’est pas une surprise. Il semblait évident que la délégation des compétences aux départements allait générer des inégalités. Cela s’est confirmé, voire intensifié, et on le constate toujours aujourd’hui. C’était justement l’une des raisons de la création du Cnaemo en 1981 que de répondre à la décentralisation. La participation des personnes accompagnées est très inégale entre les départements. C’est pour cela que l’on souhaite en faire un débat à l’échelle nationale par le biais de nos assises. Toutefois, on constate que la question du pouvoir d’agir intéresse de plus en plus de monde. Nous attendons environ 1 000 personnes, et notamment des personnes qui ne relèvent pas de la protection de l’enfance. On retrouve des personnes travaillant dans le handicap et dans l’insertion. Le pouvoir d’agir est un thème transversal.
C’est évident. L’un ne va pas sans l’autre. Si vous souhaitez mettre en place les conditions favorables à l’exercice du pouvoir d’agir des usagers, il faut que les travailleurs sociaux possèdent une plus grande latitude d’action. Cette dernière dépend évidemment des moyens humains qui sont alloués, mais également d’une volonté politique et managériale. Le type de management appliqué dans un service renforce ou non les compétences et la marge de manœuvre des professionnels. Il faut que ceux-ci aient confiance en leur savoir-faire et dans les possibilités d’actions qui existent pour garantir une participation efficiente des usagers.