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La carotte et le bâton

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Voilà que ça les reprend. Après avoir traqué les mauvais chômeurs qui ne traversent pas la rue, les mauvais parents qui achètent des écrans plats avec la prime de rentrée scolaire et les mauvais SDF qui répandent leur saleté dans la plus belle ville du monde, voilà qu’ils s’attaquent maintenant aux mauvais pauvres qui mangent n’importe comment.

Richard, Géraldine, Michèle et quelques autres, bienheureux députés au grand cœur qui s’inquiètent très sincèrement pour la santé de toutes ces humbles familles qui entretiennent joyeusement leur cancer à grands coups d’additifs en tous genres.

« Ce sont les personnes les plus modestes qui consomment le plus de “malbouffe” (pizzas surgelées, nuggets, barres chocolatées, pâtes à tartiner) », assènent-ils très doctement dans une tribune pleine de leur morale dégoulinante de bienveillance(1).

Ben oui mes amis, bienvenue dans la vraie vie des vrais pauvres. Parce que la pizza surgelée premier prix à 2,90 €, je sais bien qu’elle est bourrée de cochonneries pas très bonnes pour la santé, mais j’ai pas trop les moyens d’aller me payer la version de luxe cuite au feu de bois avec de vrais bons ingrédients, cuisinée avec amour et savoir-faire par un cuisinier napolitain qui tient sa recette secrète de sa grand-mère maternelle qui l’a elle-même apprise de son grand-oncle sicilien. Ma pizza, c’est de la grosse cavalerie du rayon surgelés du grand magasin pas cher, cuite au four à gaz presque aussi vieux que la grand-mère du pizzaïolo, et elle contente et sustente tout à la fois mon bonhomme dont les yeux pétillent de gourmandise à l’annonce du menu de fête. Parce que oui, même à ce prix-là, ça reste un menu exceptionnel, accompagné d’un cola trop sucré et d’une glace qui n’a rien d’artisanal, et on fait comme si c’était bon, comme si on fêtait quelque chose, comme un soir d’été quelque part sur la place d’un petit village italien, entre un pizzaïolo rieur et une sérénade enchantée.

2,99 € les vingt nuggets cuits en huit minutes ou 9,73 € le poulet bon marché qu’il faudra cuire longtemps, accommoder, découper, servir et resservir pendant trois repas, puis finalement jeter parce que – oups ! – oublié dans le frigo ou les fourneaux ? Vous croyez vraiment que j’ai le temps et l’envie de me poser la question ? C’est un luxe que je n’ai pas, parce que pas le temps, parce que trop de travail, parce que rien de bon pour aller avec, parce que pas envie de négocier pour l’aile ou la cuisse… alors je dégaine les nuggets, la même chose pour tout le monde et pas de prise de tête, repas équitable à défaut d’être équilibré.

Et quand je soupire devant l’envolée du caddie alimentaire (et en vrai, j’aimerais tellement qu’il s’envole pour de bon, ce caddie, ce serait drôle à regarder), quand je peine à expliquer qu’un tiers de mon maigre salaire est englouti par le frigo toujours trop plein et pourtant toujours trop vide, Richard et Géraldine, 14 479 € brut mensuels à eux deux, me répondent avec une pointe de condescendance que le chèque alimentaire, ma ptite dame, ça se mérite, et faudrait voir à manger sainement maintenant !

La carotte et le bâton je vous dis, mais bio la carotte, ça change tout !

Notes

(1) « Le chèque alimentaire doit cibler les produits sains » – Le Journal du dimanche, 5 juin 2022.

La minute de Flo

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