« D’habitude, je déteste la phrase “c’était mieux avant”. Mais pour parler du SI-SIAO, je ne vois pas ce que je peux dire d’autre », ironise Catherine, assistante sociale en Ile-de-France. Comme beaucoup, elle se souvient de la date du 20 septembre 2020. « C’était à la fois le début de mon contrat et celui de la nouvelle version du logiciel. » Ce jour-là, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) mettait en ligne un nouvel outil, fusion du logiciel de pilotage des écoutants du 115 et de celui des demandes d’hébergement d’insertion. « Une mise en commun souhaitable et bienvenue selon la grande majorité des acteurs concernés », souligne Catherine. Toutefois, le jour même de sa mise en place, le logiciel montre de graves dysfonctionnements. Florent, qui travaille dans le Nord avec des personnes sans domicile fixe, se rappelle d’une situation de « chaos » : « Il nous était impossible de suivre le tableau des disponibilités des places. Nous ne pouvions donc pas orienter les personnes vers des structures, quand bien même celles-ci avaient des places disponibles. »
Un moment difficile à vivre pour les professionnels. « Imaginez voir la plupart de vos dossiers bloqués à cause de “bugs”. Et pas seulement un, mais une dizaine par semaine ! Sauf que derrière ces dossiers et ces données, il y a des humains », s’indigne Catherine, énervée « rien que d’y penser ». Pour Florent, cette période est associée à Quentin, un jeune de 22 ans qu’il suivait à l’époque : « Je ne parvenais pas à saisir les données pour modifier sa prise en charge. Quentin s’est retrouvé à la rue pendant presque cinq jours sans que je parvienne à l’aider. »
Dix jours après la mise en ligne de ce nouveau logiciel, la DGCS envoie une newsletter à l’ensemble des SIAO pour annoncer que certaines corrections ont été apportées, et assurer qu’elle travaillait à la résolution des problèmes restants. Des groupes de travail ont été créés, les acteurs s’y sont impliqués, un audit a été effectué… Mais plus de deux ans après sa mise en ligne, de nombreuses anomalies persistent. « Il y a eu des améliorations, nuance Carole Lardoux, responsable de l’animation et de l’observation sociale à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). La Dihal [délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement] a repris le projet et, depuis 2021, de réels efforts sont réalisés. Par exemple, tous les six mois, on nous présente une fiche de route avec les prochaines corrections, le calendrier des mises à jour… Toutefois, il apparaît que l’architecture de la base de données et la conception même de ce logiciel sont à revoir. Des améliorations ponctuelles ne suffisent pas. » Une instruction du 31 mars dernier indique que l’outil fait toujours « l’objet d’un travail important de correction des anomalies ». Il demeure « un chantier prioritaire au niveau national » pour la direction interministérielle. « On espère que le logiciel sera opérationnel à la fin de l’année 2022 », pointe la responsable.
Au-delà des problèmes techniques, l’enjeu le plus important semble être celui de la confiance des travailleurs sociaux. « Au quotidien, les bugs ont un impact sur la charge de travail des prescripteurs, remarque Sofiana Djebbar, formatrice à l’observatoire des SIAO 77 et 78. Les données ne s’enregistrent pas, ils doivent reprendre un dossier qui est incomplet alors qu’ils ont tout saisi comme il faut. Cela peut créer des tensions entre les personnels des SIAO et les travailleurs sociaux. Alors que ce logiciel s’avère vraiment nécessaire et devrait être un outil pour simplifier leur travail, il devient une charge. »
Pour Catherine, la défiance vient avant tout de la confidentialité des données saisies. « Je m’en sers pour les évaluations sociales des personnes suivies. Ce sont des informations très confidentielles, et chaque personne ayant un accès au SI-SIAO peut les trouver. Cela m’inquiète, notamment pour les femmes victimes de violences conjugales. » La conformité au RGPD (règlement général sur la protection des données) est un chantier toujours en cours, précise Carole Lardoux, qui souligne qu’un référent sur le sujet a été désigné.
En première ligne face à ces interrogations, les SIAO s’efforcent de rassurer comme ils peuvent les professionnels du social. « Au sein du service 77, nous conditionnons l’accès au logiciel à une formation que nous proposons, durant laquelle il ne s’agit pas seulement d’aborder les questions et les améliorations techniques mais aussi d’allier le logiciel à leur travail quotidien. Pour recréer la confiance qui a pu se perdre », précise Sofiana Djebbar.