Voilà douze ans que les SIAO ont entamé leur mue dans le but de faciliter la prise en charge des personnes sans abri ou risquant de l’être. Ces services intégrés d’accueil et d’orientation ont beau être de jeunes structures, leur valeur n’a pas attendu le nombre des années, puisqu’ils sont aujourd’hui considérés comme la clé de voûte du secteur de l’accueil, de l’hébergement et de l’insertion (AHI). Là où, avant leur mise en place, les travailleurs sociaux sollicitaient directement les structures d’hébergement, selon des règles d’attribution moins unifiées. « S’il faut noter une chance quasi historique apportée par le SIAO lorsqu’il est né, c’est de proposer une réflexion autour d’une déontologie communément partagée. C’était à ce moment-là quelque chose de très important. Et une chance pour les travailleurs sociaux, et les différents établissements qui interviennent dans le champ de l’AHI, de se retrouver pour échanger sur leurs pratiques », pointe Stéphane Courtier, directeur de l’association CMAO (Coordination mobile, accueil, orientation), qui porte le Samu social, le 115 et le SIAO de l’arrondissement de Lille.
Mieux coordonner l’ensemble des acteurs de la veille sociale est le rôle central dont ont hérité ces dispositifs à l’occasion de leur inscription dans la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (« Alur ») du 24 mars 2014, qui a consacré la généralisation d’un SIAO unique par département. C’était le souhait affiché par l’Etat afin de favoriser la transition de l’urgence vers l’insertion et de garantir la fluidité vers le logement sur des domaines de compétences qui parfois se chevauchent. La charge échéant depuis lors à cette plateforme unique départementale de réguler l’ensemble des orientations, d’organiser la coordination des intervenants de l’hébergement et du logement, tout en gérant le service d’accueil téléphonique du 115 et les demandes effectuées par les prescripteurs professionnels. Un rôle fédérateur que les SIAO ont adopté à leur rythme, avec plus ou moins de facilités selon les territoires. « Une très grande diversité de situations apparaît en fonction des territoires. Ainsi, certains – souvent les plus sous-dimensionnés en termes de ressources humaines et techniques – se sont structurés plus récemment et sont, de ce fait, encore mal identifiés par les différents acteurs. Alors qu’ailleurs la création officielle des SIAO n’a, pour ainsi dire, rien modifié aux pratiques déjà mises en place », synthétise Nicolas Paolino, chargé de mission « veille sociale et hébergement » à la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS).
Ces disparités de structuration n’ont toutefois pas empêché les SIAO de s’imposer globalement comme la seule porte d’entrée vers un abri. « Aujourd’hui, on peut difficilement accéder à une demande d’hébergement sans passer par le 115, même si quelques rares organismes nous échappent encore », témoigne Kevin Muller, responsable du SIAO « urgence » de Moselle. Installés dans leur rôle de régulateurs, les SIAO restent toutefois encore très identifiés « urgence-hébergement », au détriment parfois de leurs autres missions. « C’est une réalité, on travaille dans l’urgence sur l’urgence, et le nombre de demandes à traiter ne cesse de croître. Bien sûr, c’est pour nous la preuve que nous sommes repérés comme l’organisme qui centralise. Mais l’inconvénient est d’occulter tout ce que nous faisons par ailleurs pour éviter les ruptures d’hébergement et un retour à la rue », atteste Priscille Ventura, directrice du SIAO 77 (Seine-et-Marne).
Parmi les autres actions essentielles de ces services, celle d’être le « garant de parcours » des ménages sans domicile, depuis leur premier repérage à la rue jusqu’à la sécurisation de l’accès au logement. Une démarche qui, si elle est inscrite au cahier des charges des SIAO depuis la loi « Alur », est devenue prioritaire avec la politique publique du Logement d’abord, lancée voilà cinq ans. Dans ce cadre, l’objectif des services intégrés d’accueil et d’orientation est de mobiliser les ressources locales pour que 100 % des personnes sans domicile bénéficient d’une évaluation et que celle-ci soit actualisée à intervalles réguliers. Leur impératif ? Rendre possible un accès au logement depuis la rue. « Il s’agit d’un véritable tournant dans nos pratiques, qui implique de casser la logique du parcours en escalier qui était la nôtre pendant des années », décrit Kevin Muller. Jusqu’ici, en effet, les travailleurs sociaux se cantonnaient souvent à aller chercher des solutions dans le secteur de l’AHI, et moins à projeter directement la personne sans domicile dans un logement quand c’était possible. Cette opportunité, réaffirmée à travers une instruction du ministère de la Transition écologique diffusée le 31 mars 2022, doit donc désormais prendre le pas. Une petite révolution pour les équipes des SIAO qui, selon les endroits, peuvent éprouver des difficultés à intégrer ce changement de paradigme. « On accompagne le changement, mais force est de constater que le réflexe “hébergement” peut être vite actionné si on ne veille pas à rappeler ce principe, sans pour autant opposer les modèles », confirme Laurent Couraud, directeur adjoint du SIAO 44 (Loire-Atlantique), l’une des collectivités territoriales ayant testé la mise en œuvre accélérée du Logement d’abord depuis deux ans.
Autre condition pour que cette logique infuse à tous les niveaux : maintenir et soutenir l’existence d’espaces de dialogue entre les différents acteurs. Champions de la coordination, la plupart des SIAO sont déjà parvenus à nouer de nombreux partenariats : intervenants de la veille sociale, associations d’accueil des femmes victimes de violences, services pénitentiaires, plateformes d’accueil et d’accompagnement des demandeurs d’asile, services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), associations d’accompagnement des personnes en situation de prostitution. Idem avec les structures du secteur hospitalier de type lits d’accueil médicalisés (LAM), lits halte soins santé (LHSS) ou appartements de coordination thérapeutique (ACT). Mais la coordination reste complexe et les passerelles doivent être renforcées, vu le nombre de professionnels impliqués, voire la réticence de certains d’entre eux. « Il existe encore trop de barrières, notamment entre le monde sanitaire et le monde social. Deux domaines qui n’ont pas toujours l’habitude de se mélanger. On travaille à faire en sorte que ces tuyaux d’orgue ne demeurent pas, mais on part d’assez loin », constate Stéphane Courtier.
Un travail d’acculturation s’avère nécessaire pour amener les professionnels à se repositionner. C’est le cas en interne, pour que les équipes acquièrent ce réflexe « logement », tant au niveau du 115 qu’à celui du Samu social. Mais également en externe, en lien avec tous les partenaires de l’AHI et les représentants des personnes accompagnées. En tant qu’opérateur de service public, le SIAO a cependant la charge de porter cette dynamique localement et d’asseoir sa légitimité sur l’ensemble du continuum, de la rue au logement. « Nous passons beaucoup de temps à former les professionnels, soit directement dans les écoles de formation, soit lors de nos visites dans les différents services du médicosocial pour présenter notre SIAO. Tout ce travail d’interconnaissance est utile pour que cela puisse imprégner le langage commun », observe le responsable adjoint du SIAO 44. Du temps aussi pour organiser des concertations avec les partenaires locaux, au premier rang desquels les collectivités territoriales et les bailleurs sociaux. « Il faut pouvoir être au cœur de toutes ces instances afin de renforcer les liens entre les différents intervenants du secteur. L’objectif est d’éviter les doublons, de limiter le nombre de démarches et d’orienter vers les bons dispositifs. On a cette opportunité de mieux saisir le sujet, et ainsi de trouver un maximum de solutions pour les personnes à la rue. Alors saisissons-là », s’enthousiasme Stéphane Courtier.
Reste un frein de taille, que ni le renforcement de l’accompagnement des SIAO ni la co-construction de dialogues partenariaux ne parviennent à lever : l’inadéquation entre la demande, toujours plus nombreuse, et l’offre, plus faible, d’hébergements et de logements. « On joue en effet constamment à un jeu d’équilibriste pour, d’un côté, absorber la masse de demandes qui arrivent chaque jour et, de l’autre, travailler dans la dentelle pour pouvoir continuer à apporter cette réponse individuelle, singulière et adaptée pour laquelle nous avons été missionnés », détaille Jennifer Grember, cheffe de service du SIAO de Lille. Ménager la chèvre et le chou, tel est le défi quotidien des SIAO, qui doivent parfois composer avec des équipes réduites à leur strict minimum. « Sur certains territoires, la veille sociale se limite à un ou deux écoutants sur un plateau téléphonique, un accueil de jour dans la préfecture et des équipes de maraude essentiellement composées de bénévoles. Est-ce à eux d’effectuer le travail d’évaluation et d’accompagnement qui incombe aux SIAO ? interroge Nicolas Paolino. Ne faudrait-il pas plutôt pérenniser les équipes de maraude, sachant que, par ailleurs, l’évaluation sociale ne peut pas constituer leur seule mission ? Même s’il est possible d’interroger ses pratiques, voire de les faire évoluer, la question des moyens reste essentielle. »
L’allocation de moyens pourrait aussi permettre aux SIAO d’assumer pleinement leur rôle d’observatoire social. De quoi faire remonter précisément les besoins d’hébergement et de logement pour qu’émergent des solutions adaptées au contexte local. Toujours est-il que si ces dernières ne s’activent pas rapidement, la recherche de performance sociale a ses limites. « A Lille, on reçoit 300 appels par jour au 115 et 30 à 40 demandes d’hébergement ou de logement inscrites sur le logiciel SI-SIAO, liste Jennifer Grember. Tant qu’il n’y aura pas assez de places pour toutes ces personnes, on butera toujours sur les mêmes difficultés et les effets produits ne seront toujours pas efficients. »
Une réalité à laquelle n’échappe pas le département de Loire-Atlantique qui, à l’instar de tant d’autres, fait face à la saturation de l’offre de logements sociaux. Aussi le groupement associatif qui pilote le SIAO 44 expérimente-t-il le déploiement du dispositif dans tous les coins du territoire, y compris les plus isolés. « L’un des objectifs est de pouvoir faire émerger des besoins non pourvus sur ces territoires, précise son directeur adjoint, Laurent Couraud. En somme, une manière supplémentaire de s’ancrer davantage et d’innover, en l’absence de solutions développées dans les services de l’Etat. »