Elle a peut-être été un peu optimiste. Boulot bébé diplôme, ça faisait peut-être un peu trop en même temps. Mais tout s’est enchaîné, à peine le temps de dire « ouf » qu’elle avait réussi le concours, la fin de contrat qui coïncidait juste avec la rentrée, et surprise, les deux petites barres, et ça n’était pas un test Covid. Tout est allé si vite, tellement vite.
Elle a eu de la chance, l’école a accepté un report, elle a retrouvé un petit contrat, et c’est en jeune maman qu’elle a entamé sa reconversion. Dans l’intervalle, il a fallu s’organiser : déménager, travailler, pouponner, trouver une nounou… et dormir.
Elle a sommeil, tellement sommeil.
Elle le sait qu’elle ne dort pas assez. Elle aimerait, pourtant, mais elle se couche toujours trop tard et se lève toujours trop tôt, et entre les deux, cette petite qui ne fait toujours pas ses nuits. Et puis il y a le stage, la petite, les cours, la petite, les courses, le ménage, la petite… « Je dormirai quand je serai morte », aime-t-elle à répéter.
Elle est débordée, tellement débordée.
Alors, pour une fois qu’elle est seule à la maison, elle s’est offert le luxe d’un bain chaud et parfumé. Petites bougies, petite musique, et un petit quelque chose pour se détendre, juste ce qu’il faut pour s’évader, oublier, rêver. Ce moment est juste parfait.
Elle est bien, tellement bien.
Pensées vagabondes. Il faut signer la feuille d’heures de la nounou. Commencer le rapport de stage. Réviser le cours de psycho. Refaire un plein de courses. Trouver un cadeau pour l’anniversaire de belle-maman. Penser au vaccin de la petite. Emmener le chien chez le véto. Passer à la banque. S’occuper de la vidange. Demain. La semaine prochaine. Ou après.
Elle pense trop, tellement trop.
L’eau a tiédi, puis refroidi. La musique s’est arrêtée. Elle devrait sortir du bain, s’enrouler dans une serviette bien chaude et courir se pelotonner sur le canapé. Mais il faut atteindre la serviette, puis la porte, puis le salon… Trop loin.
Elle a froid, tellement froid.
Elle aimerait s’endormir une petite heure avant le retour de la famille parce qu’après ce sera la course, le retour à la normale, fin de la trêve. La petite aura faim et il faudra faire le repas, le bain, la vaisselle, l’histoire, le coucher… et quelques révisions, si elle en a encore le courage.
Elle est fatiguée, tellement fatiguée.
Elle entend la porte qui s’ouvre, la voix de son mari et le rire de la petite. Mais les sons lui semblent cotonneux et lointains, comme si un nuage l’enveloppait. Au loin, elle entend des cris, des pleurs puis le silence. Plus loin encore, une sirène deux tons, véhicule prioritaire, ça doit être une urgence. « Quelqu’un va mourir », pense-t-elle avec légèreté. Elle l’envierait presque, enfin s’endormir pour de bon.
Elle est calme, tellement calme.
La sirène se rapproche, son esprit s’évade, elle s’éloigne et se perd, pensée disparue à corps perdu. Elle est loin, tellement loin.