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Tribune : « Nous devons investir massivement dans une politique du prendre soin »

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Pour arrêter l’« engrenage de la pauvreté et de l’exclusion », le psychopraticien Cyrille Darrigade appelle à la création d’un grand ministère des Solidarités. Depuis la petite enfance jusqu’au grand âge, en passant par l’éducation et la valorisation des métiers du social, il assurerait un parcours de vie harmonieux pour chacun.

« De l’hôpital en passant par l’école jus­qu’aux maisons de retraite, la France a montré une fois de plus la fracture sociale dont elle était la victime, accentuée par la crise sanitaire. La désagrégation du “vivre ensemble”, la montée des populismes, la précarité en sont les symptômes. Jadis, il était courant de dire que les services publics représentaient le patrimoine de ceux qui n’ont rien. Aujourd’hui, une politique sociale efficace devient urgente. Non pas pour favoriser l’assistanat, mais pour aider les individus à vivre pleinement et à s’épanouir et, ce faisant, permettre aux économies de mieux s’adapter aux nouvelles possibilités de croissance.

En effet, le quinquennat qui s’ouvre ne pourra pas faire abstraction d’une feuille de route où l’écologie, l’économie et les solidarités se conjugueront pour arrêter l’engrenage de la pauvreté et de l’exclusion. Pour cela, il faut avoir le courage de créer un grand ministère des Solidarités entre les générations. Nous avons trop opposé les différentes classes d’âge en France au point que, des plus jeunes aux plus anciens, qui peut dire que l’action des pouvoirs publics donne satisfaction ?

Bien sûr, les contempteurs d’une France solidaire diront toujours que ce sont des actions coûteuses au point qu’elles grèvent les déficits de l’Etat. Et pourtant, la politique au sens d’une mission au cœur de la cité consiste à assurer un développement économique, social et culturel pour le plus grand nombre. Répondre aux besoins d’un travail, d’une formation, de conditions salariales justes, d’un niveau de vie décent ou encore d’un bon état de santé et d’éducation n’a rien d’une doctrine qui appartiendrait à un parti plus qu’à un autre. C’est le droit et le devoir de tous.

Aussi devons-nous investir massivement dans la société du “prendre soin”. C’est le sens et l’intérêt d’une nation pour que nos concitoyens ne s’abandonnent pas davantage au “désert de sens” qu’ils ressentent et expriment. De la maternité au grand âge, ce futur grand ministère doit soutenir l’enfance dès les 1 000 premiers jours, par une politique centrée autour de l’enfant, de son développement harmonieux garantissant simultanément aux parents un quotidien apaisé. Pourquoi durant les 1 000 jours d’existence ? Parce qu’ils constituent une période sensible pour l’enfant, pour son développement et sa sécurisation et contiennent les prémices de la santé et du bien-être de l’individu tout au long de sa vie. Précisément, sa construction psychique, affective, cognitive et sociale. C’est pourquoi la mission engagée par le professeur Boris Cyrulnik sur ce point doit être étendue. Combien de crèches, de maisons de la petite enfance manque-t-il ? N’est-il pas temps de revaloriser les salariées de l’ombre que sont les assistantes maternelles, qui, aux côtés du corps enseignant, assurent une mission d’intérêt général méconnue et pourtant si importante pour l’éveil et le bien-être des plus jeunes ?

Éduquer à la santé

A l’autre extrémité, nos séniors et personnes âgées dont la France s’est émue des conditions de vie pendant les confinements successifs ou encore face aux scandales des maisons de retraite privées. Si l’espérance de vie progresse et que nous vivons mieux, nos anciens veulent surtout vivre chez eux. Seulement, les réformes prises ne visent que la perte d’autonomie. Or c’est bien la perte d’indépendance qu’il faut traiter. Cela nécessite d’éduquer à la santé, de développer une culture tout au long de la vie et d’adapter les logements suffisamment à l’avance. Tout autant qu’à donner des moyens aux départements, chefs de file de la solidarité dans les territoires pour permettre le maintien à domicile.

Au milieu, notre système éducatif, creuset républicain souffre. La revalorisation des enseignants est louable, mais celle-ci ne pourra pas résoudre le problème de fond qui est le sentiment d’utilité de poursuivre une scolarité et de lui attribuer les progrès associés. C’est-à-dire reconsidérer cette société du diplôme qui est devenu le vecteur parfois discriminant au détriment de l’expérience. En outre, la formation continue doit être mieux valorisée, y compris les cycles d’enseignement à distance et les certifications qui émergent et constituent un bagage complémentaire à la formation initiale. De plus, le numérique, les classes virtuelles partagées doivent pénétrer notre système éducatif bien plus puissamment pour réduire les inégalités d’accès aux langues vivantes et combler, lorsque cela n’est pas possible humainement, le déficit d’enseignants ou les problèmes de remplacement. Voire encore la disparité entre zones urbaines, péri­urbaines et rurales. Décloisonner, s’ouvrir, partager les savoirs et les cultures de base comme les cultures nouvelles est un impératif qui modernisera l’école de demain.

Revaloriser les métiers du social

De même, il est urgent de revaloriser les métiers du secteur social dont une simple augmentation de salaire ne suffira pas à combler le manque de considération dont souffrent ces hommes et ces femmes qui contribuent à la bonne insertion ou réinsertion de nos semblables, sur les plans médical, éducatif ou psychologique, et plus particulièrement les centres médico-psychologiques non équitablement accessibles dans les régions et qui manquent de personnel. A telle enseigne qu’ils n’ont d’autre choix que de proposer un premier rendez-vous… au bout d’un an d’attente ! En cette période, il n’y a donc pas que les chiffres des sondages pour les élections législatives qui sont à scruter à la loupe ! Il y a aussi ceux de cette France en difficulté avec elle-même. C’est-à-dire les 15 % des Français qui montrent des signes dépressifs (+ 5 points par rapport au niveau hors épidémie), les 23 % qui ont des signes d’un état anxieux et les 10 % (+ 5 points) qui ont eu des pensées suicidaires au cours de l’année passée. Dans le même temps, 30 % des postes de psychiatres ne sont pas pourvus à l’hôpital et 20 % des postes d’interne en psychiatrie sont désertés. La profession a été trop dévalorisée, les moyens sont modiques, les conditions de travail tendues et les protocoles de soins discutables. Patients négligés, soignants épuisés, étudiants démotivés forment le cocktail explosif que personne ne semble voir venir. Le demi-milliard d’euros consacré aux centres médico-psychologiques pour enfants et adolescents n’y suffira pas. La France, pays des Lumières et des droits de l’Homme attend une loi-cadre pour la santé mentale et la psychiatrie de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte avec des moyens, de la formation jusqu’à la pratique hospitalière et libérale. Ce serait le signe que notre pays sait guérir de ses propres faiblesses et qu’à défaut d’aller parfaitement bien, il irait mieux.

Nous tous ?

Créer un grand ministère des Solidarités entre les générations, c’est retrouver l’idéal d’une France intégrative, qui répare l’ascenseur social et soigne les maux d’une République qui ne fait plus écho pour nos compatriotes. Les crises sanitaires, politiques, sociales depuis des décennies ont montré combien l’homme seul n’existe pas et que nous avons besoin des autres pour être vivants. Renouer avec la parole et le débat est capital pour comprendre et faire de nos interdépendances des forces. Comme le disait très récemment la psychiatre Cynthia Fleury, “les humanités doivent prendre racine et promouvoir une vie sociale et politique fondée sur l’attention créatrice de chacun à chacun”. Aussi ce grand ministère ne fera-t-il pas que soigner les blessures de notre pays, il assurera, si les moyens et la volonté sont là, un nouveau développement entre nos semblables, telle une sorte de résilience ou de psychologie positive. Chiche, Monsieur le président de la République ? »

Pour débattre : debat.ash@info6tm.com

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