France Travail

« Le travail, c’est la clé de la dignité. »* Agnès rit nerveusement. Hier soir, alors qu’elle se faufilait péniblement entre deux tablées, un sale type aux mains baladeuses s’est octroyé le droit de laisser traîner sur elle ses grandes paluches. Elle a réagi vertement, les insultes ont fusé, et l’odieux bonhomme n’a rien trouvé de mieux à lui répondre que « le client est roi ». Dignité mes fesses !

« L’occasion de faire, d’apporter sa pierre à la société et de gagner sa vie par soi-même. » Cédric sourit intérieurement. Il est manager d’une boutique minable qui vend des fringues minables. Renouvellement du stock chaque semaine, prix ridiculement riquiqui… Ici pas le temps de réfléchir, tout est fait pour que le client achète vite et souvent. Et, surtout, sans se poser de questions. Comment c’est fait, par qui, avec quoi, dans quelles conditions ? Pas son problème ! L’impact social et environnemental, on verra ça un autre jour. Il s’est construit tout seul et ce n’est pas cette vulgaire considération qui l’arrêtera.

« Le travail c’est ce qui donne un sens à sa vie. » Pierre soupire. Il s’est couché très tard hier soir, ou plutôt très tôt ce matin. La maraude a duré plus longtemps que prévu, mais il y avait cette femme jamais vue jusqu’alors, et cet homme déjà vu si souvent. La journée sera ennuyeuse, se dit-il, en songeant au travail répétitif qui l’attend sur la chaîne de production. Et il est déjà si fatigué, mais ça en valait la peine. La nuit dernière, il se sentait utile et humble. Il se sentait à sa place.

« Le travail c’est la promesse de l’émancipation. » Yasmina regarde son planning à trous. Deux heures ce matin, deux heures à midi, une heure ce soir. Encore une journée à enchaîner les prestations courtes et les longs temps d’attente. Elle part tôt, rentre tard, et malgré des journées à rallonge, elle ne gagne même pas de quoi payer la réparation de la voiture. Ce mois-ci, elle a encore refusé des missions, faute de transport. « Je dois travailler pour payer le garagiste et payer le garagiste pour pouvoir travailler. Je suis coincée ! »

« Le travail commence par la jeunesse. » Raymond fulmine. Entre ses doigts, une énième lettre de refus. « Nous avons le regret de vous informer… » Bla-bla-bla… Toujours les mêmes mots, toujours les mêmes excuses. « Nous recherchons un profil junior », Votre expérience serait un atout pour notre entreprise, cependant… », « Vous êtes trop qualifié » … La vérité, il la connaît : il est trop vieux.

« La relation au travail a changé, les modes de travail ont changé, particulièrement ces dernières années. » Derrière la porte close de l’atelier, Simon sait que Dominique est déjà là. Le signe qui ne trompe pas, c’est le volume à fond de la radio d’info en continu. Il pousse la porte, la pièce est plongée dans le noir. Il avance à tâtons, sa tête heurte quelque chose de dur… Des chaussures ? Des chaussures en hauteur ? Il avance encore. Il faudra vraiment changer cette ampoule un jour… Il ouvre les volets, tourne la tête et il les voit, les chaussures, aux pieds de celui qui pend mollement au bout d’une corde. Dominique.