A la suite de diverses expériences professionnelles, je me suis rendu compte que le genre impactait nos pratiques. Alors que je travaillais en foyer d’accueil médicalisé, j’ai été agressée par une personne handicapée. Lorsque j’ai cherché des explications, on m’a répondu que c’était parce que j’étais une fille et que ce résident ne supportait pas l’accompagnement proposé par les femmes. Chaque fois, dans ce type de contextes, dès que je me suis tournée vers mes collègues, je n’ai pas eu de réponses à mes questionnements. Par ailleurs, beaucoup d’éducateurs n’étaient pas formés aux problématiques des agressions sexuelles rencontrées sur le terrain. Pourtant, de telles situations se répétaient régulièrement et aucun protocole n’était mis en place pour penser les violences de genre, qu’elles soient verbales ou physiques. Au quotidien, on s’aperçoit aussi que les femmes subissent plus d’injures sexistes de la part du public que les hommes. Dans notre cursus, on nous explique que le bénéficiaire qui injurie ne s’adresse pas à nous en tant que personnes, mais que l’insulte vise notre posture professionnelle. Cependant, les injures reçues par les femmes sont différentes de celles adressées aux hommes, elles sont très souvent sexualisées. Dès la formation, quelque chose apparaît qui relève de l’acceptation. J’ai voulu intervenir auprès des futurs travailleurs sociaux sur ces questions et j’ai décidé de réaliser un master d’études sur le genre à l’université Lyon 2.
La démarche n’a pas été évidente. J’ai envoyé des candidatures dans tous les organismes de formation en travail social. Seul l’Irfase m’a fait part de son intérêt pour le projet. Nous avons ensuite pensé ensemble un module adapté. Je forme aujourd’hui de futurs assistants de service social, moniteurs-éducateurs, éducateurs spécialisés et éducateurs de jeunes enfants. Je propose un module de trois fois huit heures. Il s’agit d’une journée par an, sur les trois ans de formation.
La première année, la séance porte sur la déconstruction des stéréotypes de genre. J’entame le travail par les représentations des étudiants pour leur faire prendre conscience que nous sommes tous vecteurs de normes à un moment donné, et qu’il est nécessaire d’interroger ses propres représentations pour être en capacité d’accompagner l’autre. En se fondant sur des mots, comme « égalité » ou « transphobie », je leur propose de partir de leur expérience personnelle et de s’interroger sur leur propre éducation. Par la suite, je m’appuie sur les caractéristiques des futurs métiers. Pour les éducatrices de jeunes enfants, par exemple, je suggère de questionner la notion de parentalité. Lorsqu’un enfant est malade, les professionnelles vont être amenées à contacter davantage la mère que le père. Je développe avec elles cette idée de charge mentale. Toutes ces injonctions, nous les observons dans la société de manière générale, mais elles sont aussi présentes dans le travail social. J’essaie de montrer aux étudiants qu’en manifestant ces fonctionnements stéréotypés, eux-mêmes proposent au public des façons de faire genrées, qui viennent renforcer les représentations que nous connaissons. J’oriente également les étudiants vers un panel d’outils. Le violentomètre est, par exemple, très utile. Il s’agit d’une graduation de différents propos, classés du vert au rouge, servant à sensibiliser le public sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
Quand je fais part de mes observations, en général, le premier réflexe est de répondre : « Moi, je suis égalitaire dans ma façon de faire. Je ne fonctionne pas comme ça. » J’explique que lorsque nous ne travaillons pas ces questions, nous reproduisons souvent des choses à notre insu, car nous dépendons d’un système. Ce n’est pas grave, l’essentiel est de s’en rendre compte. L’idée est de remettre en question notre accompagnement de façon collective, sans incriminer personne en particulier. En fonctionnant de cette manière, les conversations débouchent sur des constats qui n’apparaissaient pas en premier lieu.