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Boum, poc, crac

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Elle marche, elle court, elle déambule… Elle se précipite vers chaque porte ouverte, vers chaque fenêtre. « Laissez-moi sortir ! », hurle-t-elle en secouant frénétiquement les poignées des ouvertures désespérément fermées. Elle nous hèle, nous agrippe, elle veut rentrer chez elle, sa mère l’attend et va s’inquiéter, son père va la gronder.

Elle a peur, elle pleure, elle supplie. Nous nous arrêtons, l’écoutons, expliquons : ici, c’est une maison de retraite, c’est là qu’elle vit maintenant. Elle ne nous croit pas et reprend sa course infinie.

Elle marche, elle court, elle déambule… Elle finit par tomber, tête la première dans le long couloir mille fois arpenté. Le corps fait « boum », mais elle ne veut pas de notre aide, elle se relève doucement et repart, droit devant, vers la porte, vers la fenêtre, vers sa maison.

Elle marche, elle court, elle déambule, elle cherche ses parents, ses enfants, son mari… Elle va être en retard à l’école, ses enfants vont l’attendre, et son mari qui n’est toujours pas rentré, il est encore avec la voisine, elle en est sûre. D’ailleurs, nous le savons tous, n’est-ce pas ? Et nous, forcément, on l’empêche de sortir, complices. Toutes des garces !

La peur, la colère, les pleurs et les cris, agitation vaine et démesurée,et les soignants impuissants à l’apaiser. Elle est épuisée, elle maigrit. Alors son traitement est adapté, un tout petit peu, pour qu’elle s’apaise, qu’elle mange. Ce médicament, elle n’en veut pas, elle n’a pas besoin de ça.

On négocie, on diffère, on réussit parfois. Elle le prend de temps en temps, le recrache souvent, et les insultes encore…

Nous sommes des garces et des empoisonneuses de surcroît ! Elle marche, elle court, elle déambule, mais sa tête tourne et ses jambes vacillent, son corps tangue et son esprit chavire. Elle tombe encore, le corps fait « boum » et la tête fait « poc ».

Elle a peur et nous aussi, elle est si fluette et si faible. Elle va finir par se casser quelque chose, un jour. On ne peut pas la laisser se mettre ainsi en danger. « Installation au fauteuil tablette pendant les repas », a prescrit le médecin. Il faut qu’elle mange, mais pour cela il faut qu’elle reste assise, le temps du repas.

Elle marche prudemment, elle court de temps en temps et elle déambule moins souvent. Elle ne sait plus où aller, elle a essayé toutes les portes mais elles sont restées closes. Elle a supplié, pleuré, menacé, mais rien n’y a fait, elle reste enfermée là, seule au milieu de ces gens qu’elle ne connaît pas. Souvent assise, parfois debout, elle ne tient plus vraiment.

Elle tombe encore. Le corps fait « boum », la tête fait « poc » et le poignet fait « crac ». Cette fois, elle ne se relève pas. Elle a mal, elle ne peut pas, elle ne nous repousse pas, elle attend, calmement. De toute façon, elle n’a plus que ça à faire. Elle est enfermée là et elle y restera.

La minute de Flo

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