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Loger la jeunesse à bonne enseigne

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Veiller à ce que les différents dispositifs permettant aux jeunes de se loger ne rentrent pas en concurrence, mais au contraire, fonctionnent en complémentarité tout en assurant une bonne mixité sociale. Un défi pour les élus, les bailleurs et l’Etat.

« Le mandat présidentiel qui vient de s’achever a vu naître le plan “80 000 logements jeunes” ainsi que le fameux plan “Logement d’abord”. Leurs objectifs ne sont pas atteints. Ni plus, sans doute ni moins, que les objectifs de construction de logements en général et de logements sociaux en particulier. La problématique du logement a atteint un niveau sans précédent pour toute la population et particulièrement pour les jeunes, et n’a d’égal que son absence dans le débat public et l’insuffisance des politiques mises en œuvre. Face à ce constat sévère, les optimistes se réjouiront que l’objectif national de loger la jeunesse soit désormais bien présent dans la visée publique. Certes, c’est la première des données. Mais la production est faible pour des raisons quasi structurelles : foncier rare et cher, nécessité de limiter l’artificialisation des sols, hausse des coûts de la construction et de l’énergie, réticences des élus à accorder des permis de construire et des habitants à voir de nouveaux édifices près de chez eux. Il faut donc aussi urgemment veiller à ce que l’offre soit lisible, et compréhensible. La complémentarité ne se décrète jamais, elle se construit parfois, il faut la vouloir beaucoup.

L’hypothèse du « paysage foisonnant »

L’intervention publique en direction du logement des jeunes se heurte à plusieurs difficultés, à commencer par la définition même de son objet. La “jeunesse” comme catégorie de l’action publique ne se laisse pas simplement appréhender. De même, la question du “logement des jeunes” ne rend pas compte de la diversité des situations ni de la variété des parcours résidentiels, moins encore de la multiplicité des acteurs économiques et institutionnels en présence.

Le logement des jeunes, entendu comme l’ensemble des lieux où ils habitent, se caractérise par un paysage aux motifs multiples offrant une typologie variée de prix, de bâtis collectifs ou “diffus”, de conditions d’entrée, de niveaux de financements publics, de services et d’accompagnement associés. Le panorama englobe l’hébergement d’urgence ou d’insertion, le parc locatif privé conventionné ou non, le parc social, les résidences privées accueillant ensemble ou séparément des étudiants et des jeunes actifs, les résidences conventionnées telles que les résidences étudiantes, gérées ou non par les Crous (centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires), les résidences sociales ou bien encore les résidences agréées “foyers de jeunes travailleurs” (FJT, désormais “habitat jeunes”). Pour finir, mentionnons la multiplicité des acteurs, chacun pouvant être opérateur d’un ou de plusieurs des segments évoqués et qui revendiqueront leur appartenance plus ou moins affirmée à différents territoires politiques ou conceptuels : logement “accompagné”, “inclusif”, “adapté”, “spécifique”, “d’insertion”…

Ces dispositifs, en partie, “s’articulent”. Du moins est-il possible pour un jeune d’en faire individuellement un usage successif qui mettra en lumière une certaine complémentarité de l’offre. Ce peut être le cas, par exemple, d’un parcours entamé dans l’hébergement qui, après une régularisation administrative et avec une solvabilisation suffisante, se poursuit dans le logement. Ou lorsque le logement temporaire, lié à une nécessaire mobilité au sein d’un parcours de formation, aboutit à un logement d’installation dans le parc privé ou social. Ou dans le cas d’une augmentation de revenus relative à l’obtention d’un emploi mieux rémunéré qui permet de passer du parc social au parc privé. Ou encore, lorsque l’étayage reçu au sein d’une résidence habitat jeunes permet d’imaginer un ailleurs dans un logement autonome abordable quel qu’en soit le statut. Mais ce foisonnement a aussi des limites.

Le fonctionnement d’un outil tel que l’habitat jeunes est financé par les jeunes qui y logent. L’accompagnement socio-éducatif est calibré sur l’accueil d’une population mixte et financé par les caisses d’allocations familiales (CAF). Les gestionnaires associatifs leur rendent compte annuellement de leur action auprès des jeunes, conformément à la circulaire du 4 juillet 2006 qui fixe les objectifs d’accueil des différentes composantes de la résidence. C’est un écosystème sensible : il peut être affecté par la vacance sur un territoire en déprise, où le logement privé est peu cher ; être déséquilibré financièrement et au regard des objectifs de la Caisse nationale des allocations familiales s’il accueille trop de jeunes en grande difficulté ; avoir un équilibre budgétaire précaire. Il peut être déserté par les “classes moyennes” ce qui, par ricochet, engendrera l’accueil de jeunes plus démunis. La mixité sociale est une ligne de crête…

Le pari du brassage social et du droit commun

Les premiers résultats du rapport sur l’“utilité sociale des foyers de jeunes travailleurs”, commandé par la ministre chargée du logement, Emmanuelle Wargon, au CGEDD (Conseil général de l’environnement et du développement durable) à l’été 2021, faisaient état de la forte valeur ajoutée de ces dispositifs d’habitat jeunes et pointaient la nécessaire vigilance à leur possible concurrence à l’échelle des territoires. En effet, les résidences sociales jeunes actifs accueillent elles aussi des jeunes actifs, mais n’ont pas les objectifs de mixité de peuplement fixés par la CAF et ne nécessitent pas d’appel à projets pour être implantées. C’est un outil plus facile à programmer, qui peut avoir tendance à capter un public plus aisé nécessaire à l’équilibre populationnel d’un FJT. Sauf à programmer de la complémentarité, par exemple en termes de segment d’âge, comme c’est le cas en Ile-de-France, les deux dispositifs sont factuellement en concurrence, alors qu’ils sont parfois portés par les mêmes gestionnaires. Il ne s’agit pas de défendre un produit contre un autre mais plutôt de resituer l’opportunité de tel ou tel dispositif et reconnaître que les objectifs des uns et des autres sont parfois en tension.

De même, face aux graves difficultés rencontrées par les jeunes à bénéficier des outils principaux d’accès au logement, à savoir le parc HLM, une petite musique monte depuis plusieurs années dans les services de l’Etat et dans les collectivités. Devant ces problèmes, le “droit commun” serait dépassé. La multiplication des dispositifs de colocation, la promotion tous azimuts du logement intergénérationnel et autres logements intercalaires ou spécifiques deviennent alors des solutions de choix. Fini le droit commun et le logement collectif, l’époque est à la bidouille. Or, si ces dispositifs jouent un rôle et apportent des réponses utiles et créatives, ils restent de l’ordre de la petite échelle et ne sauraient fournir une réponse globale et durable comme l’ont fait le parc HLM, les foyers de jeunes travailleurs et l’intermédiation locative par exemple.

Comprendre et nommer les logiques de concurrence

Loger la jeunesse, ce n’est pas strictement faire se rencontrer un produit et son public, une offre et une demande. Collectivement, nous savons les difficultés que rencontrent les jeunes face à une offre illisible et des logiques en silo qui les isolent plus qu’elles ne les intègrent. Le projet porté par l’un ou l’autre de ces offreurs répertoriés n’est pas le même. Il ne suffit pas de s’appeler “résidence” pour que l’on n’y soit pas seul. Ou d’écrire “social” dans le programme pour qu’on parle d’un projet de territoire. Ni de dire “co-living”, fût-ce sous la douce férule d’un “community manager”, pour qu’il s’agisse d’apprendre à vivre ensemble. Trop d’acteurs jouent le jeu de la concurrence entre dispositifs et entre publics, et favorisent des solutions d’image et/ou des solutions d’économie plutôt que d’efficacité. Il est de la responsabilité de ceux qui planifient et programment – élus, bailleurs, Etat – d’être attentifs à lever l’écran de fumée sur le secteur et exigeants sur les attendus et les moyens y afférant.

Si l’on veut, en effet, programmer une offre complémentaire, il faut à tout prix mettre au jour les mécanismes de concurrence entre dispositifs, territoires, publics, gestionnaires et les traiter comme tels. En prétendant d’emblée à une insaisissable “complémentarité”, on risque d’induire une offre segmentée, ne produisant aucun effet du brassage social nécessaire à chacun pour devenir adulte et à tous pour devenir une société de considération mutuelle. L’illisibilité de l’offre participerait alors à sa dérèglementation. Il faut craindre de réunir “entre soi” des jeunes semblables qui n’auraient besoin de rien, et d’assigner ailleurs d’autres qui auraient besoin de tout et qui n’auraient pour horizon que de rester dans les circuits de relégation. Il faut le craindre pour tous, car les mécanismes de l’interconnaissance sont favorables à tous. Dans tous les cas, il est vrai que l’on coche la case “logement pour jeunes”, mais pour quel projet ? »

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